Monsieur MACRON, qui surveille assidûment ses ouailles en commission pour s'assurer qu'elles rejettent en bloc la totalité des amendements déposés, peut se frotter les mains : il va tuer demain le notariat et ses emplois.
Passés les rapports à charge, l'absence de toute étude d'impact, et l'aveuglement dogmatique, le sort d'une profession séculaire est désormais remis entre les mains du Parlement. Lourde responsabilité. Il est donc essentiel de leur parler de la vie. Et de ses réalités.
Mesdames et Messieurs les Sénateurs,
Mesdames et Messieurs les Députés,
A l'heure où j'écris ces lignes, la commission sur le projet de loi Macron a rejeté en bloc tous les amendements relatifs au corridor tarifaire. Dans un élan de générosité, elle a néanmoins souhaité limiter la négociabilité du tarif à 33 % : sans doute devrais-je la remercier ?
Dès lors, vous allez dans quelques jours être appelés à déréglementer une profession qui donne entière satisfaction à la quasi-totalité de sa clientèle, qui conseille gratuitement, qui dit le droit au quotidien, qui prévient les conflits. Mais rassurez-vous, je ne suis pas là pour juger. Je ne viens ici que vous parler de bon sens. Celui qui implique la connaissance des sujets que l'on a à traiter. Qui se poursuit par le fait de savoir se dire "je ne sais pas", qui continue avec l'envie d'apprendre et de comprendre, en écoutant, en prenant le temps, et qui se conclut par la discussion, la négociation pour trouver une solution commune et raisonnable.
Sur cette simple base, n'importe quelle personne, même complètement étrangère au notariat aurait compris que le notaire n'est pas dans le commerce, mais qu'il est une composante du service public de la Justice. Comme tout service public, son tarif ne peut être négociable, sauf à rompre l'égalité entre les citoyens.
Sur cette simple base, n'importe quelle personne aurait cherché à comprendre ce qui forme le bénéfice de la majorité des notaires. Elle aurait épluché des chiffres pour se rendre compte que nombre de notaires reçoivent sous leur coût de production une majorité de leurs actes. Elle aurait ainsi pu constater que j'ai reçu sous ce coût 66 % de mes actes, sans parler de tous les conseils gratuits. Elle se serait enquis de la compensation de cette perte, réalisée par 29 % d'actes supplémentaires. Pour qu'enfin 5 % de mes actes viennent fonder mon bénéfice. Actes pour la plupart rémunérés au-delà de 4.000 € et portant donc sur d'importantes valeurs exprimées.
Sur cette simple base, nous aurions étudié mes ratios, analysé mes chiffres. Pour parvenir à une rentabilité de 12 %. Tombant à 5 % après remboursement de mon crédit professionnel, sans lequel je ne pourrais exercer. Et à 3 % après paiement de l'impôt. Pour des journées de dix à douze heures de travail, des semaines de six jours.
Sur cette simple base, nous aurions pu étudier clairement les conséquences de la moindre réformette de ce tarif que notre ministre de l'Economie juge inadmissible, alors qu'il rémunère à un maximum de 1,25 % HT les actes de donation, de 0,825 % HT les actes de vente, là où les taxes diverses et variées avoisinent les 6 % !
Sur cette simple base, vous auriez pu vous rendre compte que la moindre baisse de tarif, ne serait-ce que de 10 %, aura pour conséquence la perte de deux tiers de mes bénéfices. Avec pour effet direct le licenciement de deux membres de mon personnel. Sauf à ce que l'Etat rembourse mon emprunt professionnel, me fasse cadeau de l'impôt sur le revenu, diminue dans les mêmes proportions mes charges ou solde mes crédits personnels.
Sur cette simple base, vous n'auriez pas manqué de mettre au panier les prétendus rapports impartiaux de hauts fonctionnaires ou d'autorités soi-disant indépendantes n'ayant pas quitté leurs bureaux, se contentant d'analyser courbes et graphiques pour désigner aux ministres quelques proies dociles à offrir à la vindicte populaire.
Alors maintenant, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, Mesdames et Messieurs les Députés, l'objectif n'est pas pour moi de vous vanter les mérites du notariat, je ne doute pas un instant que vous les connaissiez.
Il n'est pas non plus de vous dire combien j'aime servir mon pays, le peuple, la société et l'Etat. Il n'est pas de démonter les insultes ou les mensonges servis jusqu'au dégoût par les uns ou les autres depuis des semaines.
Il est de vous exposer ma réalité, mon quotidien. Semblable à celui de nombre de mes confrères, soyez-en certains. D'ailleurs, dans un cynisme à tout épreuve, signe du capitalisme décomplexé qui anime sa réflexion, l'Autorité de la Concurrence se garde bien de proposer une quelconque base de réforme du tarif, mais n'hésite cependant pas à affirmer, pages 121 et 122 de son rapport : "une baisse uniforme des tarifs conduirait les offices moins rentables à réaliser des pertes et, à plus ou moins brève échéance, à la faillite. (...) il n'est pas certain que la disparition éventuelle de ces offices lèse réellement les consommateurs."
Il est de vous dire que oui, je suis favorable comme tant d'autres à une loi qui concerne le notariat, mais le notariat seul. Un loi réfléchie et portée par la Chancellerie, issue d'une réelle concertation et pas de celle que le ministre de l'Economie a prétendu mener. Une loi qui parvienne aux objectifs souhaités d'augmentation du nombre de notaires, de rajeunissement des cadres et de plus de justice sociale pour le tarif, tout en préservant l'emploi et le maillage territorial.
Il est de vous dire que tout corridor tarifaire, aussi minime soit-il, sonnera non seulement le glas de l'égalité des citoyens mais également celui de nombre d'offices qui servent la France au quotidien, en parfaite indépendance, en toute neutralité, à la satisfaction jamais démentie des pouvoirs publics. Et qu'il entraînera à coup sûr la plus grande vague de licenciements au sein d'une même branche d'activité que la France ait connu depuis longtemps.
Vous remerciant de l'attention que vous aurez bien voulu m'accorder,
Et restant à votre entière disposition,
Je vous prie d'agréer, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, Mesdames et Messieurs les Députés, l'expression de mes salutations distinguées.