A l'aube du vote de la loi Macron à l'Assemblée Nationale, je ne peux que m'interroger sur la place du citoyen lambda, que je suis parmi tant d'autres, dans notre société actuelle.
Le constat est bien sûr amer, car en tant que citoyen, cette place est inexistante. Pourtant, j'ai toujours fait tout qu'est-ce qu'on m'a dit : bien travaillé à l'école, bien travaillé à la fac, bien travaillé au travail, bien payé mes impôts, bien allé voté, ..., et je me suis donc bien fait enfumer - pour rester très poli -, comme il se doit depuis des dizaines d'années maintenant.
Quand on vote sans savoir...
Le piteux spectacle politico-politicien autour de la loi Macron, et du seul volet sur lequel je puisse revendiquer un tant soit peu de connaissance, celui des professions réglementées, m'a enlevé le peu de respect que j'aurais encore pu avoir sur nos gouvernants. Observer à quel point le débat est inexistant, à quel point les intervenants ne savent pas de quoi ils parlent, à quel point la vie politique ressemble à une cour de récréation pour adultes m'a simplement écœuré. Si tel est le cas pour le notariat, je ne doute pas un instant qu'il en soit ainsi pour nombre de sujets.
Bien sûr, il m'est difficile de passer outre le cynisme des uns ou des autres, de Monsieur MACRON livrant sa loi sans aucune étude d'impact mais se permettant de juger "escroquerie intellectuelle" celle des notaires à Madame GUITTET s'exclamant "Eh bien ils fermeront !" au sujet des petits offices notariaux.
Cette soi-disant "escroquerie intellectuelle" est au mieux un mensonge inadmissible de la part d'un homme aux commandes de l'Etat, au pire un aveu d'incompétence totale : oui, Monsieur le Ministre, lorsque l'on enlève 10 % de produits à une entreprise réalisant 20 % de rentabilité - qui est la rentabilité moyenne selon l'avis de l'Autorité de la Concurrence -, on lui enlève au final la moitié de cette rentabilité. Pour ce qui me concerne, à 10 % de produits en moins, je perds 66 % de rentabilité. Quelle entreprise, dans ces conditions, peut conserver tous ses salariés ? C'est ici tout le problème de réformer en regardant des moyennes : une rentabilité à 50 % cache trois rentabilités à 10 % : en voulant réduire les profits jugés indécents du plus gros, vous tuez les trois autres et aidez le quatrième à grossir plus encore : belle réussite !
Quant à Madame la Députée, il faudrait sans doute que vous veniez rencontrer mes salariés pour affirmer sans trembler, sans hésiter et sans revenir sur vos propos que mon étude, comme beaucoup d'autres, peut fermer. Sauf à avoir pleinement conscience du plan mis en place par la gauche, si peu social mais tellement lucratif sans doute : la disparition des petits fera grossir les plus gros, dure loi de la jungle, dont je pensais pourtant le service public préservé.
Si, au moins, la loi était rédigée et votée en conscience, en concertation, avec une idée claire et précise de son impact sur l'emploi suite à enquête menée par les pouvoirs publics. Ou si, au moins, chaque député avait pris le temps de discuter avec les notaires de son ressort, de comprendre leurs préoccupations, de toucher du doigts leurs disparités... Mais il n'en est rien , loin de là.
Quand on ne vous écoute pas...
Face à ce triste spectacle, et bien avant encore, j'ai écrit à Monsieur le Ministre. Oh bien poliment rassurez-vous. Ce qui ne m'a pourtant pas permis d'avoir l'honneur d'une réponse. A croire que le citoyen n'est pas sa préoccupation première. Pas plus qu'elle n'est d'ailleurs celle des services de la présidence de la République, également contactés et qui brillent tout autant par leur silence, que celle des services du Premier ministre, également muets.
Bien sûr, j'ai également souhaité alerter les députés des dangers se profilant : chômage et fermeture d'offices engendrés par la baisse des produits à l'acte, fin de la neutralité et de l'impartialité suite à l'ouverture du capital des études. J'ai pour ce faire écrit à chacun des 577 députés. Je ne pense pas avoir reçu plus de dix réponses, dont neuf sur le plus classique style parlementaire du "rassurez-vous nous y prendrons garde", "soyez certain que tout est préservé", bla bla bli et bla bla bla...
Alors, lorsque j'entends ces braves gens s'étonner, s'offusquer, qui du soi-disant lobby des notaires - alors que nous savons tous que les vrais lobbys sont loin de se faire par mails ou courriers mais dans les meilleurs hôtels et restaurants -, qui du harcèlement notarial, j'ai une fois encore envie de vomir. Moi, voilà bientôt six mois que l'on me décrit comme un parasite, un rentier. Une merde finie qui s'engraisse sur le dos de je ne sais quelle bête. Voilà des mois que j'explique à qui veut l'entendre qui je suis, ce que j'ai fait pour en arriver là, ce que je gagne, ce que je rembourse en crédit professionnel, ce que je paie en impôts, les clients que je reçois et renseigne gratuitement, les actes reçus sous leur coût de revient, bref la réalité de mon quotidien. Mais expliquer tout ceci à des gens qui ne voient que Paris, qui ne savent que vivre de fonds publics, qui n'ont aucune notion de la gestion d'entreprise - et qui vont même jusqu'à prendre des cours après avoir été ministres, franchement on croit rêver ! -, bref qui ne savent sans aucun doute pas du tout ce qu'est la réalité de mon quotidien, lorsqu'ils ne répondent pas à vos mails ou n'y répondent que dans un style des plus politiques, lorsqu'ils ne se donnent pas la peine de vous rencontrer, de vous écouter ou de vous comprendre, que reste-t-il ? Il reste les moyens modernes de communication. Et en multipliant mon petit exemple de notaire rural par 9.700 notaires et 48.000 salariés, oui, Mesdames et Messieurs les Députés, vous pouvez vous sentir "harcelés" : dommage que nombre d'entre vous n'aient pas pris la peine de s'intéresser au sujet et de rencontrer leurs administrés... Et il n'y a pas plus de kit de communication dans le notariat qu'il y en a dans vos partis, pour que vous puissiez ressortir à loisir dans la presse les éléments de langage tronqués ou mensongers qu'ils vous livrent : j'ai eu le loisir de consulter celui du parti socialiste sur les professions réglementées, c'est lourd... Mais arrêtons-nous là, car vous allez me faire pleurer !!!
Au cœur de cette belle politique politicienne, seule compte la ligne du parti, aussi assassine pour l'emploi puisse-t-elle être. Cette ligne qui sans doute justifie l'omniprésence de Monsieur MACRON. Cette ligne qui sans doute justifie le recadrage des frondeurs supposés par Monsieur le Premier Ministre. Cette ligne qui me semble totalement inconcevable dans une démocratie digne de ce nom, puisque si les députés sont censés représenter le peuple, ils doivent me semble-t-il voter en leurs âmes et consciences et non pas le doigt sur la couture du pantalon. Ou alors, il nous suffit d'élire 5 députés, trois pour la majorité et deux pour l'opposition : voici une superbe source d'économie, non ? Mais je crains qu'ils aient d'autres projets en tête...
Quand l'avenir, machiavélique, est écrit...
Et face à ce piteux spectacle, face à cette mascarade démocratique, il y a moi. Obscur notaire de campagne, six salariés. Heureux et désireux de voir la profession évoluer, et ayant sur ce thème quelques idées, déjà connues.
Bien sûr, il faut installer de nouveaux notaires dès lors que les installations respectent la sécurité que les clients sont en droit d'attendre des notaires, et donc les règles actuelles. Sur ce point la loi me semble bonne. Elle aurait pu aller plus loin en fixant des critères d'accueil en cas de dépassement de seuils, et ainsi permettre de diviser les plus fortes rémunérations. Elle supprime le recours aux clercs habilités et limite à terme le nombre de notaires salariés à deux pour un notaire associé.
Mais pour le reste de ses dispositions, elle est clairement dangereuse d'une part, et intéressée d'autre part.
Dangereuse dans la liberté de fixation des tarifs par l'Autorité de la Concurrence. Les mesures préconisées par cette dernière sont sans appel pour ma structure : licenciements, puis baisse d'activité, puis licenciements, puis faillite car mon emprunt professionnel ne sera plus remboursé, puis enfin sans nul doute faillite personnelle puisque mon emprunt personnel ne le sera plus non plus. Et donc, camarades Députés, je n'ai pas le droit de vous alerter sur ce danger ? Vaste hypocrisie, et belle démocratie...
Intéressée car la conjonction de la baisse du tarif et de l'ouverture aux capitaux extérieurs ne peut tromper personne. L'obscur petit notaire que je suis va rendre gorge, économiquement, logiquement, mathématiquement. Mais les clients continueront à avoir besoin du service notarial. Fort heureusement pour les notaires aux études plus urbaines et sans doute plus rentables, et leurs futurs investisseurs - conseillés sans aucun doute par quelques banques d'affaires - qui seront soit anglo-saxons soit qataris, de nouvelles lignes de cars déverseront le flot de ces nouveaux clients aux portes de leurs offices, pour le plus grand profits d'investisseurs qui sacrifieront le conseil gratuit à la rentabilité à tout crin, qui s'assoiront sur la déontologie et la neutralité, qui refuseront de recevoir les actes aujourd'hui reçus sous leur coût de revient.
Bien sûr, je ne suis sans aucun doute qu'un oiseau de mauvaise augure. Un naïf de plus dans les rang d'une Nation où, soyez rassurés, les médias disent la vérité et les politiques travaillent au bien commun : omniscients ils n'ont nul besoin de savoir pour voter ce qui est bon pour vous.
Quand les hommes politiques ne vous écoutent pas. Quand les médias ferment les yeux sur ce qui semble évident. Quand vos emplois, votre vie, le métier que vous exercez n'intéressent personne. Quand vous criez et que l'on ne vous entend pas. Quand vous écrivez, et que l'on ne vous lit pas. Quand vous démontrez, mais que l'on préfère regarder ailleurs pour conserver son investiture, ses chances d'une place au gouvernement ou dans la haute administration. Quand votre futur, celui de vos salariés, celui de votre famille, est suspendu au bon vouloir d'une poignée de personnes qui ne vous connaissent pas, qui ne vous répondent pas, qui ne vous considèrent pas.
Que reste-t-il ?