Réflexion de mon fils de neuf ans hier soir au dîner, renchérissant sur l’impôt nécessaire au fonctionnement de la collectivité. Bon ok en fait c’est moi qui ai renchéri. Mais non mon fils, en fait, « l’école n’est pas gratuite ». Tu me recopieras la phrase dix fois pour t’apprendre les négations et la syntaxe, non mais !
Pourtant, elle l’est et c’est tant mieux. Tant mieux que des gens puissent payer pour que tous les enfants aient des chances égales d’instruction et d’éducation. Bien sûr, égales sur le papier. Car en réalité rien ne s’obtient sans travail, rien ne s’obtient sans efforts, rien ne s’obtient sans quelques coups de pied aux fesses. Et l’Homme n’est pas égaux – amateurs de Coluche, je vous salue ! -, loin s’en faut. Attention, au sens figuré les coups de pied, je ne frappe ni les enfants ni les abrutis. Encore moins les sombres cons et les gens gentils. Bin je ne frappe personne en fait…
Elle l’est mais pas tant que ça. Car pour qu’elle le soit, comme peuvent l’être la santé, le service public à moindre coût, l’exploitation des agriculteurs qui ne peuvent vivre décemment sans aides publiques puisque les marchés financiers et les grossistes leur interdisent de vivre de leur production, bref pour que tout ce qui fonctionne en-dessous de son coût de production puisse continuer à marcher, il faut bien que l’impôt compense le manque à gagner. L’impôt ou une facturation intelligente et respectueuse des services rendus, mais l’intelligence ne semble plus s’intégrer à la vie publique, vaste débat…
Alors mes enfants – en fait je suis aussi l’heureux papa d’une charmante jeune fille – j’aimerais pouvoir vous dire que notre système est un excellent système. Car il l’est sur le papier. Il l’est tant que personne ne vient en user et en abuser. Il l’est tant que chacun est à la fois respecté et respectueux. Il l’est tant que celui qui travaille, qui embauche, qui fait vivre, respecte ses salariés et que ceux-ci en font de même. Il l’est tant que ceux qui dégagent de la richesse et paient des impôts ne sont pas regardés comme des parias, des nantis, des mauvais citoyens qui n’ont que des devoirs et aucuns droits. Il l’est tant que le respect préside à la direction de la Nation, tant que la loi est juste car réfléchie avec les citoyens concernés et votée loin de la dictature du 49-3, tant que la minorité emmerdante ne vient pas mettre à mal les réformes nécessaires et engagées dans tant de pays qui aujourd’hui s’en sortent là où le nôtre s’encroûte. Il l’est tant que les populistes de gauche comme de droite restent à leur sombre place, celle de la haine : haine de l’autre, haine du patron, haine de l’étranger. Il l’est tant que la liberté des uns respecte celle des autres.
Alors mes enfants, j’aimerais pouvoir vous dire que seul le travail paie. Pourtant dans ce pays, sans voler, mentir, trahir, et uniquement par le travail – qu’il soit scolaire ou professionnel – il devient difficile de s’en sortir dignement. D’abord parce qu’on vous jalouse. Ensuite parce que l’on vous méprise. Enfin parce qu’on vous spolie. L’impôt est une excellente chose. Lorsqu’il permet à la solidarité nationale de s’exprimer, à la société de fonctionner, à chacun de s’en sortir lorsqu’il traverse une mauvaise passe. Mais lorsque l’impôt devient confiscatoire, lorsqu’il prive le salarié d’un revenu décent, lorsqu’il prive celui qui prend des risques et ne compte pas ses heures d’une rémunération décente, lorsqu’il laisse le précaire dans la précarité et le travailleur pauvre dans une situation plus mauvaise encore que celui qui ne vit que de la solidarité nationale, alors il ne sert plus à rien.
J’aimerais pouvoir vous dire que ceux qui nous gouvernent montrent l’exemple et sont en tous points dignes de confiance. Mais ce n’en est que trop rarement le cas, tant il est acquis que tout détenteur d’une parcelle de pouvoir, si infime soit-elle, est poussé à en user et en abuser. Du maire au président de la République, du député au sénateur, mais surtout dans toute la clique des hauts fonctionnaires qui finalement seuls gouvernent sans savoir au fond de leurs ministères parisiens, tous ou presque se tiennent par la barbichette dans le charmant jeu du « fais plaisir à tes amis ». Belle ironie. Triste vérité. Les mêmes se partagent le pouvoir depuis des décennies et jurent leurs grands dieux à chaque veille d’élection qu’ils ont changé, qu’ils ont compris, qu’ils sont le renouveau de la vie publique et le réveil de la France. Et je n’évoquerai pas les extrêmes exécrables qui jurent exactement la même chose et combattent le système « de l’intérieur », cet intérieur qui finalement les rémunère grassement et leur offre tellement d’avantages qu’il faudrait être bien con pour s’en priver. Mais là en fait "con" j’ai le droit car ça se pratique très couramment en cour de récréation. Comme Pokémon.
J’aimerais pouvoir vous dire que les choses vont changer. Que les choses peuvent changer. Mais est-ce-que j’y crois encore ? Depuis 1995 je n’ai pas raté une élection, faisant du vote un devoir plus qu’un droit, tant de pays en rêvent… A l’heure qu’il est je n’en ai plus envie. Plus envie comme plus de la moitié des électeurs qui ne daignent plus se déplacer et qui font qu’aujourd’hui le parti au pouvoir n’a guère récolté plus de 10 % des voix des inscrits aux dernières élections. En tirant comme conclusion que les français voulaient une accélération des réformes. Et faisant donc n’importe quoi. Comme ils le faisaient avant d’ailleurs, ça doit s’apprendre comme ça au cours de leur cursus. Dommage qu’on ne leur apprenne pas le sens de l’honneur et des responsabilités : ça doit s’oublier rapidement sous les ors de la République. Dommage qu’on ne les rende pas responsables de leurs lois, le pays ne s’en porterait sans doute que mieux. Dommage qu’ils ne s’appliquent pas les règles de rigueur qu’ils entendent nous imposer, nous ferions de belles économies.
Alors je n’ai qu’à vous dire d’être vous-même. De travailler à votre vie. De travailler à votre bonheur. D’être ce que vous voudrez être en construisant, je vous le souhaite, le monde de demain : plus juste, plus respectueux, plus humain. A l’heure où tout se déshumanise, ou tout s’informatise, ou tout se mondialise, j’aime à vous voir jouer comme moi naguère avec trois morceaux de bois. A vous voir pédaler. A vous voir construire des barrages sur un Verdon glacé. A vous voir construire des cabanes au cœur de la forêt. A vous voir grandir, vous affirmer, vous dépasser, vous exprimer. Soyez vous-même, c’est essentiel. Respectez les autres, c’est essentiel. Croyez en vos rêves, c’est essentiel. Soyez heureux, c’est vital. Et que longtemps, très longtemps, l’école soit gratuite sans l’être vraiment : c’est bien là le plus important.