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Billet de blog 20 janvier 2015

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Non, Monsieur Macron n'a rien d'un notaire scrupuleux !

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Alors que l'Assemblée Nationale s'apprête à étudier dès lundi prochain le texte de loi proposé par Monsieur MACRON, qui n'est pas du tout un fourre-tout, non non non on vous l'a dit et répété, mais un inventaire à la Prévert de mesures supposées aider la France à sortir de l'ornière, nous en attendons toujours l'étude d'impact.

Autrement dit, les députés devront s'atteler à voter un texte à l'aveugle, sans connaître les conséquences des mesures adoptées.

Ah non, pardon, une commission composée "d'experts, français et internationaux, dont l'indépendance et la compétence en matière d'évaluation des politiques publiques sont reconnues" a été mise en place. Le 12 janvier. Inutile de vous dire que le travail va être à la fois sérieux et poussé, et que tout le temps nécessaire sera pris pour s'assurer que la loi soit bonne pour les citoyens. C'est juste une histoire de "milieux autorisés" à la Coluche, où l'on s'autorise à penser des trucs sur lesquels on ne sait rien...

A l'heure où la défiance des français à l'égard des médias et des hommes politiques n'a jamais été aussi forte, il aurait pu être amusant de constater combien ce projet souligne étrangement ce fossé entre les gouvernants et la réalité de la vie. Seulement, à l'heure qu'il est, je n'ai plus envie de rire.

Des conséquences inéluctables et (trop ?) prévisibles

Car l'étude d'impact, pour le notariat, est simple. Il s'agit de remplacer le libre-choix du client, qui ne peut véritablement s'exercer qu'en l'absence de toute concurrence tarifaire, par un choix imposé, celui du moins-disant. Au détriment du maillage territorial, qui se soucie encore de la proximité ? Au détriment de l'égalité d'accès à la Justice, qui se soucie encore de l'égalité ? Au détriment du conseil gratuit, qui se soucie encore de gratuité ?

En l'an I de la réforme, c'est-à-dire demain, une réduction de 10 % des produits d'exploitation entraînera le licenciement d'un tiers de mon personnel. Bien entendu, je vous parle à produits d'exploitation constants. Rapporté à la France entière, nous parlons de 18.000 personnes sur le carreau. Et encore, à condition que la réduction ne porte que sur 10 % des produits. Pour certaines catégories d'actes, l'Autorité de la Concurrence évoque jusqu'à 60 % de baisse, et son corridor tarifaire - plutôt couloir de la mort, n'en déplaise aux députés effarouchés - propose jusqu'à 30 % de négociabilité : jugez-plutôt ! Les bien-pensants, belles marionnettes, viendront très vite vous rétorquer que d'autres pourront faire le travail. Certes oui, mais non surtout ! La problématique que nous offrent Monsieur Macron et ses sbires dans un premier temps n'est pas une baisse de la production, mais une baisse des produits d'exploitation, à coût de production égal. A moins que le gouvernement, éclair de génie, se décide à diminuer drastiquement les charges sur les salaires, ou que je délocalise ma production en Asie ou en Afrique. Vaste escroquerie ! Il ne s'agit donc pas de répartir l'activité entre professionnels, mais d'en diminuer la rentabilité. Donc au final, personne n'en profite : le nouvel installé rencontrera peu ou prou les mêmes difficultés à générer des produits pour couvrir ses charges, donc n'embauchera pas, ou difficilement, ou pas aux salaires actuellement imposés par la convention collective. Faut-il avoir fait l'ENA ou Sciences Po pour comprendre ça ?

En l'an II de la réforme, les offices ayant pu survivre subiront, de fait, une baisse de productivité.  Celle-ci, en raison de la complexité du travail et de l'accompagnement du client - on ne fait pas 84 % de satisfaits sans proposer un minimum de qualité de service - ne sera pas compensée par de nouveaux débouchés, inexistants, et viendra donc se traduire par de nouveaux licenciements. Sans compter le mécontentement des citoyens, qui verront la qualité du service diminuer et les délais de traitement augmenter. Pour ma part, cette hypothèse entraînera la fermeture pure et simple de mon étude. Pour le plus grand plaisir de l'Autorité de la Concurrence qui écrit en pages 121 et 122 de son avis : "une baisse uniforme des tarifs conduirait les offices moins rentables à réaliser des pertes et, à plus ou moins brève échéance, à la faillite." Mais de tout cela, la loi du marché s'en contrefout : vivre et laisser mourir... En cet an II, les premiers conglomérats - bien aidés par la loi Macron et son ouverture du droit aux capitaux extérieurs - commenceront à émerger, pour le plus grand profits de certains, notaires ou pas. Les bureaux non rentables disparaîtront. Des succursales viendront, ou pas, mailler le territoire, avec des sous-fifres en lieu et place de notaires responsables. Les lobbys commenceront leur travail de sape, arguant de la fin du maillage, de la disparition des notaires.

En l'an III du macronisme, les financiers achèvent de prendre le pouvoir. Quelques multinationales se partagent désormais le marché, optimisant la productivité pour doper les profits et satisfaire les actionnaires. Les enseignes des groupes concernés remplacent la République assise, vous proposant tout un panel de services, de l'action en justice à la négociation soi-disant amiable, de la téléphonie mobile au frigo, vendant au citoyen devenu consommateur du droit un ensemble de services dont il n'a que faire, mais auxquels il doit souscrire pour pouvoir acheter sa maison. Il emprunte auprès de la banque associée. Il s'assure auprès de la compagnie associée. Il négocie auprès de la banque associée. Le porte-clés est offert par la maison... Bien sûr, le tarif n'existe plus à la demande des financiers désormais propriétaires du droit notarial, qui n'est plus un service public mais une rente privée. Il a donc fallu abandonner la tarification, pas assez rentable. Le conseil gratuit a bien évidemment disparu, la garantie collective tout autant. Des marées d'informaticiens remplissent des formulaires derrière leurs écrans, au vu des informations que le client, qui ne rencontre plus personne, a bien voulu leur communiquer. Bref, le prêt à porter a remplacé le sur-mesure, pour la plus grande perte des citoyens, mais le plus grand profit d'une poignée de financiers et de cabinets anglo-saxons...

Je fabule pensez-vous ? Je grossis forcément le trait à loisir, mais si peu. Trop peu encore sans doute. Car finalement, même sans entrer dans la thèse du complot international, penchons-nous simplement sur les faits.

Le ridicule ne tue pas : fort heureusement...

Tout part d'un rapport sorti fort opportunément des placards de Bercy, quelques jours avant que la commission n'ait rendu ses préconisations pour la France - étrangement orientées vers le modèle anglo-saxon du tout libéral -, toujours aussi mauvaise élève en matière de respect des engagements, d'où peut-être son aversion à l'égard des notaires ? Ensuite un ministre, aujourd'hui déchu, qui part au combat, sabre au clair, contre de prétendus rentiers, de soi-disant corporatismes. Et un successeur qui contre toute attente lui emboîte le pas : le conseilleurs n'étant pas les payeurs, je n'ai toujours pas compris comment il pouvait décemment reprocher la rémunération moyenne des notaires avec l'argent par lui gagné en deux ans de banque d'affaires. Parce que vous pensez qu'il n'a pris de pouvoir d'achat à personne ? Il est vrai que les sociétés qu'il a conseillé l'on rémunéré en monnaie de singe, rien à voir avec de la rente : d'ailleurs, ceci explique sans doute qu'il n'ait pas payé d'ISF et que son patrimoine soit si mince. Mais cela n'a interpelé personne. Pas plus d'ailleurs que ses accointances avec Monsieur LASSERRE, président de l'Autorité de la Concurrence - si indépendante soyez-en sûr ! - côtoyé sur les bancs de la commission ATTALI... Et que dire des va-et-vient de nos hauts fonctionnaires, déposant des rapports avant de s'en aller joyeusement rejoindre le privé et profiter, à leur corps défendant, des normes qu'ils ont contribué à établir : le chef de mission du rapport IGF n'a pas échappé à la règle, mais là encore, tout le monde se tait. Et last but not least, que fera demain notre cher ministre, une fois rendu son portefeuille ? Professeur de philosophie ou associé-gérant d'une banque d'affaires ? Les paris sont ouverts...

Pour tout ce beau monde parisiano-parisien - écoutez Monsieur Macron  s'inquiéter du sort de "la province" en commission spéciale, édifiant... - les notaires sont de puissants nantis, affameurs du peuple, rentiers sans scrupules.

 Bien sûr, je vis de l'impôt, comme tant d'autres fonctionnaires, et du coup même ceux qui n'ont pas recours à mes services financent mon dispendieux train de vie. Ah non, pardon, je suis un libéral, assumant à mes seuls frais et sous ma seule, pleine et entière responsabilité, mes fonctions. Assurant le service du public de manière obligatoire, et même sous le coût moyen de production, ce qui est le cas pour 66 % de mes actes. 29 % d'actes supplémentaires viennent rétablir l'équilibre avant que finalement je sois rémunéré par 5 % de mon travail.

Bien sûr, j'exploite un personnel taillable et corvéable à merci, qui ne me voit arriver qu'au soleil couchant, pour signer quelques courriers, quelques papiers, avant de m'en retourner vaquer à de saines occupations, telles le comptage de bas de laine, le golf, le brossage de nombril avec pinceau en poils de yack. Ah non, pardon, j'arrive à l'étude à 7h30, pour la quitter vers 19h00, avec parfois - je n'ose le "souvent" - quelques menus travaux sous le bras.

Bien sûr, le vole le chaland, qui n'a d'autre choix que de recourir à mes services au coût exorbitant. Il est vrai que 1,25 % d'une valeur exprimée, c'est scandaleux. Les presque 6 % que le Trésor Public ponctionne au passage - et que dire des 20 à 60 % de droits de succession - , sous ma responsabilité et sans bourse délier, c'est de la roupie de sansonnet... C'est pourquoi nombre d'autres professionnels du droit me rient au nez lorsqu'ils me croisent. Et que les lazzis redoublent lorsque j'évoque les actes reçus sous leur coût de revient, les conseils gratuits, bref, mon travail du quotidien.

Alors certes, je n'ai pas la naïveté de croire que je représente la réalité que connaissent tous les notaires de France et de Navarre. Mais c'est sans nul doute celle de l'immense majorité d'entre eux. Et pourtant, alors même que par exemple le gain d'une baisse des tarifs de 10 %, sera de 276 € HT sur une vente à 200.000 € - et que le Trésor continuera à percevoir 11.980 € - on s'apprête à sacrifier l'emploi ! Pour quelques centaines d'euros d'économies, sur des passages chez le notaire tous les dix ans, on veut sacrifier des vies entières ? Mais de qui se moque-t-on ? Un pays comme la France, portant haut les valeurs d'égalité et de fraternité, en viendrait à ruiner des vies par dizaines de milliers pour des prétextes aussi mensongers que la rente ou le profit ?

Des solutions fort simples permettaient de partager les prétendues richesses en préservant et ce modèle de droit que le monde entier adopter et cet emploi indispensable à la richesse de notre pays : suppression du clerc habilité , sans ce remplacement ridicule par une armée de notaires salariés ; toilettage sensé et réfléchi du tarif, au lieu d'une taille au coupe-coupe sans aucun discernement ; fixation de seuils obligeant à une association supplémentaire sous peine de sanctions pécuniaires entrant dans les caisse de l'Etat ; installation contrôlée de nouveaux notaires, sous les conditions que nous connaissons actuellement, aux bons soins de la Chancellerie.

Au lieu de cela, "l'énarquocratie" nous propose un salmigondis de mesures aussi mortelles les unes que les autres : mortelles pour l'emploi, mortelles pour les offices, mortelles pour les notaires, mortelles pour l'économie toute entière.

Quelle vaste hypocrisie ! La richesse est ailleurs. La vraie rente est ailleurs. Les fortunes sont ailleurs. Mais sans doute ne veut-on pas les toucher. Ce sont certainement des amis, des camarades de grandes écoles. Les employeurs d'amis, de membres de la famille. Bref, qu'est-ce-que j'en sais. Ce que j'en lis. Ce que j'en vois.

Pourtant, il faut de la richesse pour faire tourner l'économie d'un pays, et pas seulement s'écrier que l'on veut des jeunes rêvant de devenir milliardaires. Ils auront tôt fait de quitter la France, soyez-en sûrs camarades au pouvoir, tués par l'impôt, montrés du doigt par les jaloux, détestés par les aigris : et ces gens-là sont légion...

En tout état de cause, livrer l'avenir du notariat à l'Autorité de la Concurrence, incapable d'appréhender ce qui fait l'indépendance du notaire et son libre-choix pour le client, à savoir le tarif identique pour tous et sur tout le territoire, c'est faire le lit de cette liberté. Ouvrir le notariat à la concurrence tarifaire c'est faire le deuil du conseil gratuit, du libre-choix du client, de l'égal accès au service public. Ouvrir le notariat aux capitaux extérieurs, même limités, c'est tuer à terme l'indépendance du notaire, bras séculier de la Justice de proximité, de la paix du contrat, de la sécurité juridique.

Les intentions réelles de nos gouvernants nous échappent totalement. Les intentions déclarées ne peuvent tenir à l'examen circonstancié des faits. Une fois de plus, on nous prend pour des cons. Moi je m'en fous, je suis con et j'aime ça. Mais la plaisanterie a assez duré. Les citoyens n'en peuvent plus. Les citoyens ne vous croient plus. Les lois sont écrites sans que les professionnels concernés soit consultés. Ecoutés. Entendus.

Il ne nous reste plus qu'à espérer que le Parlement joue son rôle de représentant du peuple. Ce peuple qui accorde sa confiance aux notaires dans une immense majorité, et sa défiance aux politiques de tous bords dans les mêmes proportions : vaste désillusion !

Car oui, Monsieur Macron n'a rien d'un notaire scrupuleux, malgré ses déclarations. De ces notaires qui accueillent au quotidien. Qui répondent aux courriers. Qui s'intéressent aux gens dont ils ont la charge des affaires. Qui reçoivent même sans gain. Qui conseillent de façon désintéressée.

Il a bien au contraire tout du ministre prétentieux, bouffi de certitudes - les graphiques ne peuvent mentir - et de formules toutes faites, si douces à l'oreille, jamais mises en pratique. Pour ma part, j'en adore une : ne jamais faire aux autres ce que vous n'aimeriez pas qu'ils vous fassent. A bon entendeur...

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