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Billet de blog 21 février 2016

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Macron m'a tuer

Comment la loi Macron programme la mort des petits offices notariaux et de l'égalité d'accès au service public de la Justice.

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La technocratie financière vient donc de sortir l’énième décret du « Fait du prince Macron », - comment le citoyen que je suis pourrait appeler « loi » un diktat gouvernemental bafouant les représentants du peuple – celui qui va me tuer. 

Me voici ainsi condamné, comme tant d’autres avec moi, tant avant et tant après, à mourir par la faute de fonctionnaires imbéciles et de politiciens vendus aux puissances financières et parfaitement déconnectés des réalités de notre société.

Car qui peut aujourd’hui dire combien coûte un acte à produire ? Lorsqu’une personne s’assied en face de moi pour démarrer un dossier de vente, tout acte en-dessous de 12.000 euros sera produit à perte. Mais qu’importe, j’assure un service public. Ces actes en-dessous de 12.000 euros représentent les deux tiers de mon travail. Leur rémunération sera demain drastiquement diminuée. Fait du prince Macron. Réflexions aussi fumeuses que nébuleuses de hauts fonctionnaires parisiens persuadés que leur analyse est la bonne. D’ailleurs ils ont tout lu dans les livres, et toutes les moyennes le disent : les notaires sont trop payés. Les millionnaires aussi, qui quittent la France par wagons entiers et soustraient leurs fortunes à l’impôt national. Obligeant les personnes qui ne peuvent partir – ces fameuses « classes moyennes » -  à crouler plus encore sous le poids de charges iniques et disproportionnées. Et il faudrait aussi qu’elles s’excusent de gagner de l’argent après de longues heures de travail, de longues années d’études, de lourds investissements, des risques que d’autres n’ont jamais osé prendre. Car ainsi semble aujourd’hui aller le pays dans lequel je suis pourtant si heureux de vivre : les lois les plus idiotes et inutiles sont pondues à des rythmes d’enfer, sans réflexion, sans concertation, sans savoir de quoi il en retourne.  Taxant toujours plus lourdement. Imposant normes et règles destructrices d’emplois et finalement réductrices d’impôts. Augmentant le poids de la dette, mais « après nous le déluge » ! Le jour où les politiciens seront responsables des conséquences de leurs lois comme les notaires le sont de leurs actes, je ne doute pas un instant qu’il n’y ait plus que quelques dizaines de lois par an, et inutile de préciser qu’elles seront concertées avec les professions et les branches qu’elles entendent régir…

Lorsqu’il m’a fallu m’installer, et ainsi exercer le métier que j’aime et que j’ai toujours voulu faire, l’Etat a fixé le prix d’acquisition des parts de l’étude, de mon droit d’exercer.  Il m’a demandé un prévisionnel, basé sur la taxation des actes alors en vigueur. Prévisionnel que même sans Monsieur Macron je n’ai pas atteint trois années sur cinq. Suis-je venu lui demander de ne pas payer mes impôts ? Suis-je venu me plaindre ? Les aléas de la vie, du marché immobilier, du service public de la Justice que mon serment me demande de rendre à mes concitoyens ne m’a pas fait pour autant solliciter des aides, des passe-droits. Mais qu’aujourd’hui l’Etat que je sers, l’Etat qui m’a imposé les conditions d’exercice de mon activité, vienne me tuer, et avec moi six salariés qui n’ont rien demandé d’autre que de pouvoir exercer leur métier sereinement, excusez-moi mais merde ! Et croyez-moi, je reste poli…

Alors, Messieurs les hauts fonctionnaires qui savez tout, qui touchez à la fin du mois une rémunération si méritée, que vous bossiez ou pas, que savez-vous de mon métier ? Quel sombre crétin peut venir me demander le coût horaire d’un acte de vente, d’un dossier de succession, d’une donation ? Il est des dossiers qui demandent des heures et des heures de travail, pour rassurer, pour organiser, pour rendre le projet juridiquement réalisable et sécurisé. Mais bien malin qui peut dire au départ du dossier le temps qu’il passera dessus ! Ici c’est une servitude à constituer en contactant les voisins pour tenter d’obtenir leur accord. Là c’est un acquéreur inquiet à recevoir des heures et des heures pour le rassurer pleinement. Ici encore ce sont des recherches à faire pour retrouver les titres et les propriétaires, pour régler les problèmes liés à l’obtention d’un emprunt, pour rédiger un avenant au compromis, réclamer l’accord des cohéritiers du vendeur, vérifier la validité de congés… Alors, qu’un obscur bureaucrate, bouffi de certitudes et de vanité, puisse venir s’interroger sur le coût horaire de production d’un acte, ça me fait doucement rigoler !!!

Là où je cesse de rire, malheureusement, c’est lorsque ce même bureaucrate accouche d’un texte crétin, tueur de petits offices, massacreur d’emplois et de familles entières, sous couvert de réduction des rémunérations… Plafonner le coût d’un acte à 10 % des valeurs exprimées c’est sans nul doute tuer la majorité des offices ruraux. Et avec eux la totalité de leurs emplois. Mais ce n’est pas grave, la solidarité nationale paiera, on instaurera de nouvelles taxes pour mettre plus encore à contribution la masse de ces gens déjà exsangues. Le service public de la Justice passera, remplacé par l’incertitude, les procès, les conseils et les rendez-vous tarifés. Ceux qui pourront payer seront bien protégés. Ceux qui ne le pourront pas ne seront plus titrés, plus couverts, plus rassurés, plus écoutés. Dans l’indifférence quasi-générale car finalement, que pèsent 10.000 notaires et leurs 40.000 collaborateurs face aux puissances de l’argent ?

Je ne demande qu’à continuer à exercer ce métier que j’adore. Continuer à rassurer ces femmes et ces hommes qui poussent ma porte au quotidien. Gratuitement. Et même et ultra-majoritairement à perte. Le tarif des notaires vise à permettre à tous les citoyens d’avoir accès au droit. Réduire les rémunérations jugées excessives ne nécessitait que quelques lignes : suppression des clercs habilités – je m’excuse auprès d’eux – ou plutôt alors plafonnement à un clerc habilité par notaire associé, obligation d’association au-delà de certains seuils, ou écrêtement des rémunérations disproportionnées… Encore que, c’est faire fi de l’investissement, du travail, de la réussite. Mais nos politiciens exècrent ceux qui réussissent. Sauf si ce sont leurs amis, bien sûr… Demain, ce plafonnement à 10 % des valeurs exprimées tuera nombre d’offices, nombre d’emplois. J’ai deux enfants. J’ai des crédits, dont un crédit professionnel de la totalité de mon investissement. J’ai un travail que j’aime. J’ai à perdre tout cela. Mais plus encore, je vais devoir expliquer à mes salariés pourquoi je ne pourrais plus les saluer matin et soir. Pourquoi leurs lendemains vont être difficiles. Pourquoi je vais devoir m’en séparer. En raison du fait d’un prince pleurnichard, à cuillère d’argent, empli de suffisance et bouffi d’orgueil. Et traînant à sa suite une palanquée de fonctionnaires zélés, soucieux de leur avancement, ignorants des réalités de la vie, qui pourront continuer à rentrer chez eux tous les soirs avec la satisfaction du devoir accompli. 

Quand l’ignorance a ces vertus, les ignares peuvent continuer à dormir tranquilles…

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