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Billet de blog 22 décembre 2014

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Disparition du notariat : si Bercy avait raison ?

Oui, si finalement le notariat était aujourd'hui un anachronisme, la survivance inutile d'un passé lointain ? Un passé dans lequel les voitures et les portes des maisons restaient ouvertes.

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Oui, si finalement le notariat était aujourd'hui un anachronisme, la survivance inutile d'un passé lointain ? Un passé dans lequel les voitures et les portes des maisons restaient ouvertes. Un passé dans lequel les gens respectaient leur prochain, respectaient leur famille, respectaient leur parole, respectaient la loi. Une époque dans laquelle les parents poussaient à travailler pour gagner sa vie et évoluer dans l'échelle sociale, dans laquelle les instituteurs donnaient des lignes d'écriture, des notes et des classements. Une époque où la loi était respectée car les sanctions tombaient inévitablement. Une époque où les hommes politiques ne prenaient pas sur les fonds publics les sommes nécessaires au financement de leur vie privée. Bref, la survivance d'une époque révolue.

Un service public moderne.

Pourtant, le notariat continue à assurer un service public sans coût pour le contribuable : quelle hérésie ! À l'heure où l'impôt doit seul financer le service public, la profession notariale est payée par ses clients, en contrepartie du service rendu. Et encore, dans la grande majorité des cas, ce service  est rendu soit gratuitement, soit à un tarif inférieur au coût de production de l'acte.

Tout ceci revient à mettre en œuvre des principes fondamentaux de la République que sont l'égalité et la fraternité : égalité d'accès au service, assurée par la fraternité, souvent ignorée, existant entre les clients, puisque les actes aux valeurs les plus élevées permettent de compléter le manque de rémunération des actes moins importants.

Plus encore, la conjonction de ces deux principes offre à chaque citoyen le troisième, à savoir la liberté, puisque le tarif permet de choisir son notaire en fonction de critères propres, déconnecté du coût, identique pour tous et sur tout le territoire... 

Bien sûr, ce modèle archaïque ne peut être compris des économistes qui ne peuvent admettre qu'un professionnel fasse payer son travail en-dessous de son coût. C'est tout simplement parce qu'ils refusent d'admettre la notion de service public attachée au notariat, et c'est bien là le problème essentiel de la réforme envisagée pour le notariat : être portée par Bercy et son dogme du profit, de la rentabilité et du tout libéral.

Mais une profession gênante.

Ce tout libéral prôné par Bercy, qui fera sans doute bientôt financer les tribunaux par de gentils mécènes aussi riches que désintéressés, ne peut voir que des ennemis dans les notaires de France. Quelqu'un qui dit le droit, en toute indépendance, en pleine responsabilité, en parfaite impartialité, ne peut que gêner la bonne marche des affaires, c'est certain. Protégeant le citoyen, le notaire dit le droit, ce qui bien souvent déplaît au professionnel peu scrupuleux, au financier avide de profit. Appliquant la loi en amont, et non pas en aval après des années d'une procédure épuisante et coûteuse, le notaire prévient les difficultés, faisant ainsi obstacle à la raison du plus fort ou du plus riche : cela déplait à beaucoup d'entre eux, chantres du libéralisme sauvage.

Il est sans doute plus simple de faire des affaires, en toute équité et toute légalité vous pouvez les croire, dans les pays de droit anglo-saxon où les plus riches peuvent se payer les meilleurs conseils. Le juge est omniprésent, il règle après coup les litiges, mais le mal est fait... Les pays de droit continental ont préféré la prévention à la répression et le conseil désintéressé au conseiller très intéressé. Là-bas, les notaires ne gênent plus personne, pour le plus grand profit des nantis et le plus grand malheur des autres, comme la crise des subprimes l'a démontré... 

Dès lors, la chasse est ouverte !

Alors, il faut se débarrasser de ces empêcheurs de voler des ronds ! 

On commence par les stigmatiser, par promettre six milliards de pouvoir d'achat - la démagogie est sans limite - puis comme tout cela est démonté peu à peu on parle de rajeunissement des cadres, de baisse des revenus, de féminisation d'une profession : le ridicule ne tue pas ! D'autant moins que les jeunes sont nombreux et que les femmes représentent les deux tiers des nouveaux notaires installés : puissent les députés et sénateurs en dire autant un jour...

Le pouvoir veut vendre le notariat aux financiers, afin qu'ils puissent le faire disparaître peu à peu, et ainsi grandir et grossir à leur guise, sur le dos des citoyens. Vous en doutez ? Le scalp des professions réglementées est demandé par l'Europe, qui n'arrive cependant pas, et tant mieux pour les banques, à taxer les transactions financières, ce qui permettrait pourtant de rapporter des milliards d'euros aux États concernés... De même, une des mesures phare du projet de loi est l'introduction de capitaux extérieurs dans les sociétés du droit : pour le plus grand profit des financiers, personne ne peut en douter. Les mêmes qui vendent depuis des années des crédits à la consommation aux plus démunis, contribuant à leur chute, avec la bénédiction des politiques...

Et le chasseur, intéressé...

Car, finalement, en y regardant de plus près, quelle différence peut-il bien y avoir entre les grands patrons, les grands financiers, et nos hauts fonctionnaires, nos gouvernants ?

Une fois acquis le fait qu'un haut fonctionnaire peut allègrement louvoyer entre public et privé, et donc initier des lois susceptibles de lui rendre de grands services une fois passé dans le privé, pas grand chose.

Une fois acté le fait qu'ils ont de toutes façons fréquenté les mêmes bancs des mêmes grandes écoles de la République, et qu'ils participent chacun à leur place à des systèmes interdépendants, encore moins de choses...

Alors, le bon peuple s'en accommode tant que l'on peut lui offrir des cibles faciles : notaires, taxis, riches expatriés... Sauf que tout cela fini par se voir, trop clairement. Cette défiance s'exprime par l'abstention et pire, par le vote extrême.

L'exaspération citoyenne est réelle, elle grandit chaque jour un peu plus. Contre ces politiques plus intéressés à servir leurs amis qu'à s'occuper des vrais problèmes. Contre ces mensonges à répétition pour justifier du passage en force de réformes inapplicables, intéressées, irrespectueuses des représentants du peuple que l'on veut voir comme de serviles exécutants en leur déniant le droit d'avoir des idées et leurs propres avis : la volonté individuelle se dissout dans la ligne des partis. Et ça, c'est un véritable archaïsme...

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