Cher Monsieur Macron,
A l’heure où j’écris ces lignes, je connais déjà les premiers effets de votre caprice sur ma structure professionnelle. Je vous vois, de-ci de-là, vanter les mérites de l’entreprise, de l’audace, de l’investissement. Comme tout bon politicien la façade est jolie, mais elle élude totalement la réalité de votre action.
Je suis un chef d’entreprise, j’emploie six salariés. Je suis un serviteur de l’Etat, pour lequel j’ai collecté des millions d’euros sous ma seule responsabilité sans toutefois coûter le moindre centime à ses caisses. Je suis un service public et j’assume ce service sous son coût de production pour 66 % de mon travail. Je suis un professionnel endetté, un contribuable rigoureux et un citoyen comme les autres. Sur le papier. Et pour le moment. Car demain, à cause de vous, je ne serai plus rien de tout cela.
Votre petite fantaisie – comment appeler le diktat Macron autre chose que « fantaisie d’avoir une loi à son nom ? » – risque de coûter l’emploi de mes salariés, mon office, ma maison, mon travail, mon avenir. L ‘élite de la Nation qui arpente sans mollir les couloirs de votre ministère et de tant d’autres malheureusement, a fait parler une fois encore son ignorance, sa jalousie, ou plus simplement s’il faut appeler un chat un chat, sa bêtise crasse, pour nous pondre des textes plus mortifères les uns que les autres. Bien sûr, le dossier de presse de votre beau bébé doit nous abreuver d’une baisse de chiffre d’affaire de 2,5 % en moyenne nationale. Ces mêmes moyennes, courbes et graphiques qui faisaient de moi un nanti voici déjà deux ans de cela. Chez moi, il n’en est rien. Ce chiffre atteint presque le double – il faut bien des couillons pour faire gonfler la moyenne – et impacte mon bénéfice de près de 22 %. Car oui, tout bon chef d’entreprise pourra vous le confirmer, un chiffre d’affaire ne veut strictement rien dire. Chez moi, c’est une petite bourgade des Alpes de Haute Provence où les ventes de moins de 9.000 € représentent 10 % de mon activité. Heureux suis-je sans doute de ne pas être installé dans un département plus sinistré encore… L’année dernière, comme la précédente, je n’ai pas atteint le seuil de viabilité de mon activité et la ponction fiscale sera donc prélevée sur mes économies. Personne n’en pleurera. Demain, avec 22 % de revenus en moins, si je peux encore assumer mon endettement personnel et l’impôt sur lesdits revenus, il ne me sera plus possible de faire face à mon endettement personnel, pas plus qu’à mes dépenses courantes. Et soyez bien certain que je ne fais pas dans le somptuaire : ni château en Espagne, ni yacht, ni grosse voiture, ni vacances dans les îles. Désolé. Sans doute le sketch de Coluche prendra-t-il ici toute sa saveur : « expliquez-nous de quoi vous avez besoin, on vous expliquera comment vous en passer. »
Lorsqu’il m’a fallu m’installer et exercer le métier que j’aime, après des années d’études, l’Etat a fixé mon prix de cession, l’Etat a validé mon plan de financement, l’Etat a accepté mon prévisionnel – fondé sur la taxe des actes antérieure à votre mortelle réformette et sur des prix qui ont depuis perdu plus de 20 % -, l’Etat m’a fait prêter le serment d’exercer mes fonctions « avec exactitude et probité et d’observer en tout les devoirs qu’elles m’imposent ». Et aujourd’hui ce même Etat foule aux pieds ses propres engagements. Ce même Etat foule aux pieds les sacro-saintes valeurs de la République que sont la liberté, l’égalité et la fraternité. Liberté de choix du professionnel qui désormais sera le moins coûtant – à 40 € de gain pour une vente au prix médian, j’en rirais si ce n’était pas si pitoyable – mais aussi liberté de travail du clerc habilité ou salarié qui se retrouvera demain sans emploi par votre faute. Egalité d’accès au droit par la fin du conseil gratuit que j’ai dispensé aujourd’hui encore à l’occasion de la moitié de mes rendez-vous ne débouchant sur aucun dossier et que je serai demain contraint de facturer simplement pour survivre. Fraternité d’un tarif qui permettait hier de compenser dans mon office les deux-tiers d’actes reçus à perte et qui demain verra les plus riches bénéficier de remises et ristournes dans des offices non impactés par votre réforme car en zones où les ventes en-dessous de 9.000 € ne sont pas légion. Les plus avertis savaient que vous ne faisiez pas dans le social, ils n’en seront donc pas étonnés.
Me voici donc sacrifié au règne de l’argent-roi, celui qui gouverne, celui qui décide, celui qui massacre. Il me faut m’adapter au sein d’un jeu que l’Etat m’a imposé et dont il change unilatéralement les règles : les dictatures ne me semblent finalement pas faire autre chose… Je suis sacrifié par un ministre, des députés, des sénateurs et un gouvernement qui n’ont pour leur grande majorité aucun sens des réalités du terrain, qu’ils ne connaissent pas autrement que par les notes de leurs conseillers. Et avec moi des centaines de notaires, des milliers de salariés, des dizaines de milliers de familles, des centaines de milliers de citoyens. Je rêve d’un monde où vous devriez rendre des comptes, et avec vous tous ces pondeurs de lois éponymes qui massacrent des pans entiers de la société avant qu’on ne finisse enfin par les détricoter peu à peu, mais toujours trop tard car le mal est fait. Les urnes ne sanctionnent pas les irresponsables. Elles les encouragent. Le citoyen que je suis n’a pas raté une élection depuis qu’il est en âge de voter : il n’est pas du tout certain que je me déplace pour les prochaines. Et avec moi les agriculteurs, les fonctionnaires, les retraités, les patrons, les salariés, les taxis, les coiffeurs, les infirmiers, les docteurs, et toutes les forces vives d’un pays que vous pillez sans vergogne avec des textes iniques, irréfléchis, bâclés. Une chiée législative ininterrompue et mortifère pour des pans entiers de notre économie. La vie n’est pas ce virtuel que vous affectionnez tant. La vie est bien réelle. Elle est celle de citoyens qui ne se reconnaissent plus du tout dans les politiques que vous menez ou que d’autres extrêmes, pires encore, voudraient mener.
Ne pourriez-vous pas gouverner en écoutant vraiment les attentes du peuple ? En prenant le temps de réfléchir à vos lois avec les personnes concernées au premier chef ? En vous imprégnant d’une valeur fondamentale que l’on nomme « humanité » ? Certes non, ou alors ça se saurait.
Je vais donc devoir m’adapter, et je vous invite, cher Monsieur Macron, à venir expliquer à mes salariés, à mes clients, aux citoyens de ce pays, en quoi votre caprice mortel est une avancée sociale. Sortez du virtuel et venez découvrir le réel : vous verrez, l’humanité, c’est super.
Je souhaite bonne réception de ce mail doublé d’un courrier au fonctionnaire chargé du broyeur au ministère de l’Economie et des Finances.
Qu’il dorme tranquille car finalement jusqu’ici, tout va bien…