« Entrez dans un monde durable » promet le site de l'événement. Le lieu est à lui seul un symbole. Le Grand Palais, témoin de l’exposition universelle de 1900 et d’une époque antérieure à l’ère de l’électricité, menacé de destruction dans les années 60 par Le Corbusier, sauvé par la disparition de l’architecte de la modernité, longuement fermé et restauré, a traversé les époques pour être aujourd’hui l’un des plus beaux sites parisiens.
Avec sa grande nef qui inonde les exposants de la lumière du jour, on pense à une serre de luxe, clin d'œil involontaire à la situation climatique planétaire. Il n’est pas encore midi, les visiteurs commencent déjà à ôter leurs vestes en slalomant entre les stands.
Un édifice qui s’inscrit dans la durée donc, mais dont les usages n’ont cessé de changer. Si on l’associe aujourd’hui aux événements les plus exceptionnels et à l’éclat de la capitale, on doit se souvenir qu’en temps de guerre le Grand Palais a aussi abrité des expositions collaborationnistes et les animaux d’un cirque ; et on est frappé par la contradiction entre l’élégance de l’écrin de lumière qui accueille cette foire internationale et la place réelle donnée à l’écologie sur la scène politique et économique mondiale.

Agrandissement : Illustration 1

À 10h c’est déjà un début de foule qui déambule, vêtements au bras, entre les stands éphémères. Une journée entière ne suffira pas à explorer les « 1000 solutions concrètes » qui y sont exposées. Une queue se forme devant le café, on s’organise en consultant le plan ou l’app créée pour l’occasion, assis sur les quelques chaises hautes disposées là.
En face, le stand L’Oréal tient une place stratégique. Le grand groupe illustre à merveille les questions en jeu ici : peut-on concilier un engagement réel avec un modèle économique de croissance ? L'économie mondiale, responsable du désastre écologique en cours, peut-elle se transformer à la hauteur des enjeux ? Petit conseil recruteur cependant, le candidat gardera ces questions pour lui s'il espère trouver du travail ici.
Le son distant de micros monte jusqu’à remplir tout l’espace sous le couvercle de verre et d'acier. Les conférences ont commencé tôt ce matin. Tout à coup des cris de joie et des applaudissements résonnent en écho, traversant l’ensemble monumental du bâtiment. C’est sans doute Paul Watson qui intervient sur la scène principale. On baigne dans ce brouhaha permanent, une effervescence s’est emparée du lieu. Beaucoup d'accents anglais sur les sept scènes et dans les allées. « The World’s Largest Event for the Planet » promettait le site internet du Grand Palais. Et si c’était vrai.

Agrandissement : Illustration 2

Une conférence sous le thème « Renouer avec le vivant » débute au-dessus d’un des escaliers de marbre qui mènent au balcon. Se saisissant de casques posés sur les chaises en plastique blanches, un public parsemé écoute, les yeux dans ciel, trois jeunes entrepreneurs interrogés sur leur parcours et leurs conseils pour « être en lien ».
Aïna Queiroz dite Aïna l’exploratrice sur les réseaux, fondatrice de Bioinspi, « chercheuse devenue conteuse » intervient auprès de grands groupes pour leur parler solutions comportementales et biomimétisme. Elle assume que ses recherches scientifiques aboutissent parfois à un narratif marketing simplificateur. Après une étude ethnobotanique sur les centenaires dans le monde, elle nous partage son conseil pour durer : être en lien social et garder un regard positif sur son vieillissement. Dans le public, peu de personnes ont levé la main à la question : qui veut vivre cent ans. Un certain réalisme à l'œuvre. Et comment reste-t-on positif dans la tournure chaotique qu’a pris le monde ? Personne ne pose la question.
Le fondateur de Fermes d’Avenir Claudio Muscus est passé de la start-up digitale tech à la création d’une association de défense de l’agroécologie. Le modèle vertueux rencontre des résistances et un contexte de baisses de subventions, mais il tire son épingle du jeu grâce aux formations, et nous enjoint à rester humbles face au futur imprévisible qui se profile.
Florent Skawinski est passé d’ingénieur à ébéniste avant de créer Cerf-Vert, une association foncière qui organise le rachat des forêts privées pour mieux les préserver, et éviter que la mal-forestation ne les rendent émettrices de CO2, comme c’est désormais le cas de la plupart des forêts exploitées en France. Quand on lui demande un dernier conseil, sa réponse semble aux antipodes du positivisme ambiant. Il s’agit à son avis, de redevenir conscients de la mort, de cette chose que nos sociétés s’évertuent à invisibiliser. La compréhension de la fragilité inhérente à la vie, de cette éphémère beauté, nous permettrait alors de mieux en prendre soin.
Tous les trois témoignent avec leur parcours accidenté et courageux d’un engagement personnel sincère. Aucun d’entre eux, malgré la justesse de leur démarche, leur utilité pour la société civile et pour la préservation de notre avenir, ne semble à l’abri des aléas économiques. Florent se rémunère sur son livret A. Sauver la planète, ce n’est pas très rentable. Ils ne pourraient probablement pas subsister sans la contribution de subventions, de mécènes et des groupes privés présents sur le salon. Pacte faustien ou capitalisme vertueux, chacun devra se faire sa propre idée. L’argent ne pousse décidément pas dans les arbres.
Au même niveau, le long des balcons art nouveau, se tient la « job fair ». Des écoles proposent des formations dédiées à la transition écologique. Un peu plus loin, on compte une vingtaine de tables, en face desquelles des queues se forment face aux recruteurs. Énergie verte, décarbonation, économie circulaire et valorisation des déchets, du très concret. Des candidats dont la présence ici atteste d’une volonté de faire de leur engagement une profession, et qui se posent très probablement les questions que tout écolo traverse : comment gagner ma vie sans trahir mes idées, comment puis-je réellement agir, avoir un impact positif et vivre dans ce monde économique mondialisé ? On est saisi par la croisée de ces destins personnels, d’individus qui s’interrogent sur des questions centrales - celle du bien et du progrès humain, celle de leur participation au futur de nos sociétés - et qui se cherchent un avenir dans les allées de cette foire internationale sans nul doute financée à grand renforts d’argent privé. Un engagement sincère et courageux qui cherche une voie dans le cynisme de la compétition des marchés.
Sur l’Agora Stage, c’est au tour de Cyril Dion, l’incontournable star des militantes, tout de noir vêtu. Il participe à un débat « rencontre citoyenne pour le climat ». On y évoque les reculs actuels démocratiques et de luttes pour le climat.
Valérie Masson-Delmotte ex co-présidente du GIEC, commence par évoquer, en avant première, les dernières actualisations avant publication des rapports. Une baisse des émissions dans 24 pays, la stagnation en Chine mais une augmentation globale planétaire, avec un rythme record depuis 10 ans et particulièrement élevé entre 2023 et 2024.
L’année 2024 a dépassé pour la première fois +1,5 degrés, en lien avec cette accélération des émissions dues aux activités humaines, mais aussi en partie amplifiée par la fluctuation cyclique naturelle due au phénomène El Nino. La baisse de la pollution atmosphérique globale et de son effet parasol a aussi joué un rôle. Car ce qui est une excellente nouvelle pour la santé en est une mauvaise pour le réchauffement. Au moment où les religions font leur grand retour, la question mérite d’être posée : si un dieu a bien créé ce monde, ne doit-on pas ici lui reconnaître un malsain penchant pour l’humour noir ?
Le GIEC suggère également que la qualité de la vie démocratique d’un pays va de pair avec l’efficacité de ses politiques publiques de transformation, à un moment où, pas seulement aux états-unis, des intérêts puissants font obstruction dans un discours anti-science.
Pierre Larrouturou, ex député européen nous rappelle aussi qu’aucun progrès social majeur ne s’est fait sans mobilisation des citoyens, faisant pression sur les politiques, et que l’inattendu est toujours possible : 1 million de pétitions pour obtenir le droit à l’éducation en 1872, les congés payés imposés à Léon Blum par les manifestants, la chute du mur de Berlin défiant tous pronostics. Il témoigne du poids des lobbys du pétrole et des banques dont les actions contre des avancées politiques ont été documentées, et termine son intervention en affirmant avec force que la défense du pouvoir d’achat et de l’écologie sont résolument compatibles.
Faute de temps, il n'y aura qu’une unique question à la fin de cette rencontre, pas si citoyenne. Elle porte sur la capacité de changement avec le système politique et ses partis. Cyril Dion y plaide comme à son habitude pour une démocratie plus directe, faite de conventions par tirage au sort d’individus. Ces dernières ont démontré la capacité des citoyens à innover et agir quand on leur confie le destin de la communauté, préservés de l'influence des intérêts privés.
A la fin du tour de table, les invités sont priés de quitter la scène pour laisser la place à un collectif mystère qui demande à s’exprimer. Une vingtaine de personnes, t-shirt noir et logo blanc à la Sea Sheperd se déploient sur la scène. On leur tend un micro qu’une jeune femme visiblement stressée récupère. Sa main est secouée de tremblements quand elle se lance dans un speech chaotique. « Nous sommes anti tech résistance ! » s’écrie-t-elle, la voix remplie d’une émotion non maîtrisée.
D’autres prendront tour à tour la parole dans l’embarras visible des organisateurs qui ne peuvent intervenir après avoir prôné plus de démocratie citoyenne. Le groupe se présente comme les Black panthers de l’écologie, dénonce le techno-solutionnisme et le greenwashing dont les financeurs du salon seraient les auteurs. Ils s’en prennent alors à Cyril Dion, en tant que représentant d’une écologie à leurs yeux complice. Après 15 minutes, plus personne n’écoute plus rien et tout le monde a quitté la salle à l’exception des activistes eux-mêmes. Les discours décousus touchent à leur fin mais ils ne quittent toujours pas la scène.
Des personnes du public les ont rejoint pour leur signifier leur désaccord. L’une d’entre elles parle d’une union plus que jamais nécessaire face aux adversaires réels de l’écologie. La sécurité se mêle à la petite cohue. Les activistes entament alors un chant dont on ne peut saisir les paroles. Les micros ont été coupés. Il y a comme un flottement, jusqu’à ce que le groupe se lasse lui-même de la situation et finisse par se diriger vers la sortie.

Agrandissement : Illustration 3

La suite est d’un tout autre registre, avec un atelier de Rob Hopkins qui nous enjoint à collectivement dessiner la ville du futur, dans un optimisme violemment contagieux. Les spectateurs s’accrochent médusés à leur siège, embarqués malgré eux dans ces montagnes russes émotionnelles, qui témoignent de la fébrilité à laquelle est soumise l’écologie. Tout le monde sait que rien ne va plus aujourd’hui, et c'est précisément de là que naît un gigantesque besoin d’espoir.
À la fin de la journée, les places sont chères sur le parterre de la scène principale. C’est là que va se dérouler la cérémonie de clôture. A la fin du débat qui la précède, la black swann de l’écologie passe furtivement, accompagnée d’une cour de circonstance, au moment même où la foule était en train de se « lever pour la science » à la demande de Valérie Masson Delmotte. Natalie Portman marche majestueusement dans une petite robe noire. L’impératrice rejoint les coulisses avant de monter sur scène.
Santiago Lefebvre, fondateur de l’évènement, ancien passionné de business et de finance, est passé de la banque à l'entrepreneuriat vert. Mon voisin me souffle qu’il serait de droite lorsqu’il arrive, chemise blanche impeccable chino et baskets, dress code sans surprise du dirigeant cool mais responsable, engagé mais propre sur lui. L’organisateur de ce qu’il désigne comme « la première exposition universelle des solutions pour la planète » a pris le micro et la scène pour clore cette journée en anglais. Il adresse son speech au public de change makers, pour défendre les dix ans de l’accord de Paris et soutenir l’unité qu’il appelle de ses vœux, pour « croître plus rapidement » et « avoir plus d’impact ».
Pour cela, il accueille sur scène une chanteuse d’opéra iranienne, interdite dans son pays. Accompagnée d’un violoncelliste, elle apparaît une couronne de fleur dans les cheveux, et entame son chant dans un espace subitement plongé dans le silence. Dans la rangée juste devant la mienne, j’aperçois la chair de poule se former sur les bras d’une jeune fille en salopette, toute redressée d’émotion sur son siège. Standing ovation après l’interprétation d’airs romantiques d’une autre époque.
Puis le caméraman semble se tendre, quand Natalie Portman est annoncée sur scène. L'icône de beauté et artiste engagée internationale est végétarienne depuis l'âge de 9 ans. Un pigeon perdu survole l’assistance quand elle évoque les machines qui arrachent leur lait aux mères vaches, et évoque la violence y compris domestique qui entoure les abattoirs.
Il y a une surprise pour Nathalie. Et c’est la main sur le cœur et très visiblement émue qu’elle découvre en vidéo la question posée par Jane Goodall. Ce qui me donne de l’espoir ? C’est Jane et c’est vous, votre humanité et votre engagement. A chacune de ses interventions une foule d’applaudissements retentit pour l’actrice.
Puis c’est au tour de Satish Kumar de les rejoindre. Le changement ne viendra pas de la Maison blanche ni de l’Élysée. Ni même des business leaders. Il viendra de vous. Nous sommes tous des leaders.
La discussion se termine sur l’amour, remède à tous les maux d'après l’indien qui vit désormais exilé en Angleterre. Nous devons aimer tout ce qui est né. « Love first ! » Répétez après moi : « Love first ! » s’écrie avec force persuasion l’ancien moine Jaïn, fondateur de l'école Schumacher. Le public, hétéroclite mélange d'activistes, de pros du marketing de la croissance verte, de techno-business et d'acteurs sincères du changement, s'exécute. Maladroit, hésitant, gêné, en liesse.

Agrandissement : Illustration 4

« I walk in beauty before me,
I walk in beauty behind me,
I walk in beauty above me,
I walk in beauty below me,
I walk in beauty all around me,
the whole world is beautiful
the whole world is beautiful
the whole world is beautiful
Ho ! »