L'information ne se résumerait donc qu'à un décor de cinéma. Du carton-pâte avec un script, un texte à jouer. Le héros et des figurants. L'événement, le fait donc, devrait coïncider avec l'heure d'antenne du journal de 13 heures. Désormais, les avions sont priés de s'écraser en direct, les trains de dérailler vers 13h20, là où les télespectateurs seraient tentés de décrocher. Et un faits divers sordide sous la caméra de TF1 serait le bienvenu. L'image prédomine sur le texte. La forme sur le fond. L'information, on le sait, est devenue une marchandise comme une autre. Elle reste pourtant, à la base, la matière vivante qui est la sienne. Seul l'emballage doit répondre aux besoins exigents du marketing de l'époque. Le télespectateur n'en est plus un. C'est un client de supermarché. Un vaste supermarché médiatique sur les rayons duquel, il pioche l'info la plus scintillante, pas la plus vraie, ni la plus intéressante, non, la plus attirante, la plus chatoynate, la mieux emballée dans du papier brillant.
Le journal est un produit, qu'il soit papier, numérique ou télévisuel. Le cercle vicieux marchand impose à chacun, la concurrence est rude, de vendre au plus offrant, la même matière, la même information. C'est l'effet entonnoir à l'envers : on part de la base étroite pour parvenir à l'ouverture évasée, c'est-à-dire, ceux qui diffusent l'information. Un train qui déraille reste un train qui déraille. En revanche, tout ce qui gravite autour reste de l'or en barre pour assurer l'audience. Dans le cas de Jean-Luc mélenchon, et de on interview mis en scène, que TF1 se livre à ce genre d'exercice coutumier est un fait. Ce n'est pas la première fois, ce ne sera pas la dernière. Mais qu'un responsable politique accepte d'être guignolisé sans sa marionnette, en vrai, en direct, par une rédaction qui fait prendre cent manifestants agglutinés pour la façade pour une vraie manifestation, voilà qui déroge à toute règle de bon sens.
La parole de Jean-Luc Mélenchon, dans cette interview, aurait-elle été dévalorisée si l'homme s'était présenté seul ? Sans ce décor de carton-pâte derrière lui. En quoi l'honnêteté ne payerait-elle pas ? En quoi le message de Jean-Luc Mélenchon est plus fort porté par ce zoom insistant sur une poignée de banderolles ? Le télespectateur, du moins celui de TF1, est-il ce citoyen incapable de désosser lui-même une image, de lui donner un sens, une direction, un poids, une conséquence. Jean-Luc Mélenchon n'hésite jamais, comme d'autres d'ailleurs, à dénoncer les manipulations médiatiques dont sa personne en serait régulièrement la cible. Mais pourquoi est-il allé se fourvoyer avec ce genre de parodie ? Son envie d'être filmé par le journal le plus regardé de France l'a-t-elle aveuglé au point d'ignorer qu'autour de lui, à la vitesse de la lumière, les images circulent sur les réseaux sociaux avant même qu'il n'ait pu finir une phrase ?
L'honnetêté intellectuelle de Jean-Luc Mélenchon, qui désormais se gardera de faire la leçon à quiconque, aurait dû lui dicter la bonne marche à suivre : refuser ce stratagème. Mieux : si TF1 avait insisté, il aurait pu en dévoiler le making-off en direct, expliquant qu'il n'a pas voulu se prêter à ce jeu dangereux pour la presse, pour sa liberté et pour la démocratie. Sabns oublier, pourl l'image de marque des politiques. Qu'une telle mascarade est propre à faire prendre des vessies pour des lanternes et que dans le vaste container d'Internet, la presse professionnelle devrait être la garante du tri à faire entre info et intox, vrai et faux. Jean-Luc Mélenchon en gardien moral de l'éthique médiatique lui aurait valu une auréole et la reconnaissance de celles et ceux qui, journalistes eux aussi, sont pris dans l'étau de la vitesse de l'information et sa précieuse vérification. Demain, en regardant TF1 et les images qu'elle deverse, mais en regardant d'autres médias, en lisant d'autres médias sur tous supports, comment ne pas s'interroger sur la véracité de ce que l'on verra et de ce qu'on lira. Bien sûr, les premiers à avoir tort dans cette affaire, ce sont les journalistes qui se sont prêtés et se prêtent à ce genre de maquillage inutile. Mais le politique a agi en complice, en voulant soigner son égo et faire brilelr son imaghe.
Après, la polémique du nombre (100.000 manifestants selon les organisateurs et 7.000 selon la police) est secondaire. Mais elle découle du premier fait. Peut-on se plaindre d'un tel écart après avoir tenté de truquer la réalité, de l'enrubanner, de lui donner un visage qui n'est pas le sien ? 100.000 manifestants, ce n'est pas la réalité, mais 7.000 ce n'est pas non plus la réalité. 30.000 comme l'avance Médiapart serait plus juste. C'est aux citoyens, mais c'est aux jhournalistes aussi de faire ce travail de comptage. Fastifieux, peut-être. Mais au nom de l'objectivité... A moins que l'objectivité parte dans le caniveau, avec les larmes de l'éthique professionnelle de la presse.