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Billet de blog 8 octobre 2013

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La rumeur qui empoisonne Vierzon

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Est-ce l'effet Manuel Valls, le ministre de l'Intérieur qui dit tout le bien qu'il pense de l'intégration des Roms ? Ou est-ce l'effet d'une vieille trouille sécuritaire, d'une vielle angoisse de celui qui est différent, d'une vieille peur de manquer de quelque chose parce que la crise frappe dur à la porte. Est-ce l'effet d'un vieux fonds de repli sur soi jusqu'à exécrer l'autre ? Ou encore une vieille habitude de se défendre en attaquant contre des ennemis qui n'existent pas ? Toujours est-il qu'à Vierzon (Cher), une rumeur empoisonne la vie municipale, à tel point que la majorité a cru bon de se fendre d'un communiqué, dans la presse locale. La rumeur, de bouches en bouches et d'oreilles à oreilles, fait état de 600 Roms que la ville de Vierzon ferait venir sur son territoire ! C'est d'une stupidité crasse. Mais, des travaux démarrés dans un coin de la ville donnent corps à cette rumeur stupide et collante comme un chewing-gum. . 

"La rumeur sur la venue de centaines de Roms à Vierzon, ça suffit", lit-on dans un communiqué. Sauf que cette rumeur n'est pas nouvelle. Elle ne s'adresse pas spécialement à l'actuelle majorité municipale. Les majorités précédentes ont eu leur lot de rumeurs stupides. Au lieu d'une arrivée programmée par la mairie de six cents Roms,  on a eu droit à des cars d'Africains venus gonfler le nombre d'habitants de Vierzon avant le recensement, des arrivées massives de ressortissants Turcs dont le nombre variait au gré de l'imagination de chacun, de l'arrivée d'autres ressortissants pour faire diminuer la vacance des logements, etc. 

Seulement voilà. Le contenu du communiqué municipal dépeint un complot ourdit à six mois des municipales. L'on en voudrait donc à l'intégrité électorale des élus de la ville, cible d' "insinuations mensongères et complétement délirantes". C'est vrai, c'est plus délirant que mensonger d'ailleurs. Mais pourquoi ne pas se contenter seulement de dénoncer cette rumeur, de donner des arguments concrets sur les multiples impossibilités du contenu de cette rumeur, au lieu de se placer en son centre, de retourner la situation, de se victimiser et de montrer que cette rumeur est plus politique que sociologique, plus stupide que fondée. Pourquoi insinuer que cette rumeur risquerait de brouiller la conscience de certaines cervelles au point d'incliner leurs prochains votes vers les abysses d'une extrémité qui aujourd'hui a le vent en poupe ? Cette rumeur n'est pas de nature politique. Elle montre  au grand jour la fragilité, la peur et l'inconsistance intellectuelle de celles et ceux qui la colportent, s'en nourrissent, la croient, la déforment, la modèlent selon l'auditoire du moment. Dans ce cas précis, ce sont surtout les habitants qui ont l'impression, à tort, d'être victimes de cette impossible arrivée de six cents Roms. Pourquoi des Roms cette foi-ci ? Parce qu'ils sont au coeur de l'actualité, négative à leur encontre, portée par la parole ministérielle.

Cette rumeur, ajoute le communiqué, contribue à "souffler sur les mauvaises braises du racisme et de la xénéphobie qui sont toujours latents en période de crise économique". C'est très vrai là encore. La crise semble lobotomisée les citoyens pourtant les plus éclairés. Une peur inconsidérée des autres dicte un repli tout aussi inconsidéré sur soi. Le communiqué aurai dû en rester là. Pourquoi ajouter : "la mairie et la municipalité qui se battent au quotidien pour conforter les liens de solidarité dans notre ville et favoriser les créations d'emplois.../..." : cette phrase est inutile. Elle donne corps à la rumeur,  car elle essaie de l'expliquer. Les Vierzonnais croiraient à cette fumeuse bêtise parce que la municipalité n'oeuvrerait pas pour la solidarité et ne favoriserait pas l'emploi ? Du coup, la rumeur sert une propagande. Ce n'est ni le motif, ni le lieu, ni le moment. De toute façon, la majorité, si exemplaire soit-elle, n'écarterait pas la rumeur qui ne se repaît surtout pas de sa victimisation mais d'un environnement anxiogène.  Elle se délecte des propres peurs des citoyens, de leurs fantasmes, de leur ignorance, de leur envie de rejeter sur une cause imaginaire dressée en réalité, les départs de feu de toutes leurs sinistroses et de la crise en général. 

La ville a-t-elle eu raison, de dénoncer cette rumeur ? N'est-ce pas lui donner une caisse de résonnance et alimenter ce fantasme parmi d'autres, à mauvais escient, que l'on nous cache forcément quelque chose ?  Le communiqué dénonce aussi , "les auteurs de cette tentative de manipulation de l'opinion et tous ceux qui propagent de tels racontars sans fondement". Mais y-a-t-il vraiment des auteurs mal intentionnés à l'origine de cette connerie ?  Les ressorts de la rumeur sont plus complexes que cela. Pourquoi sortir les grands mots ? : "tentative de manipulation de l'opinion" ? Pourquoi agiter, en filigrane, cette hypothèse de prise d'assaut des cerveaux par des forces maléfiques ? A quelles fins cette tentative de manipulation ? Il faut juste constater que si certains croient dur comme fer, et se plaisent à répéter cette rumeur,  il n'y a pas grand chose à faire pour eux. Un communiqué n'y fera rien. Il montre que des faits avérés peuvent être moins puissants qu'une rumeur au point de faire réagir une municipalité. Les autres n'ont besoin d'aucune explication.

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