La France déprime ? La France en dépression ? La France, pays pessimiste ? Qui est le crâne d'oeuf capable de pondre un jaune pareil ? Dans quels plis de quels sondages d'opînion s'est-il pris les neurones ? Parce que, sur les routes du Tour de France, en bordure des fossés fraîchement ratiboisés, au bout des chemins creux, sur le moindre édredon d'ombre, dans les champs doucement rasés où les bottes rondes de paille sont déguisées, la France étale un sourire ample, à faire pâlir de jalousie tous les Satans fiers d'habiter un héxagone déprimant. Entre Tours et Saint-Amand-Montrond, par exemple, que du bonheur en boîte. Des lèvres retroussées sur des dents mordant la vie, celle de maintenant, là, au passage de la caravane du Tour qui précède le cortège des vedettes du vélo. La France sourit à l'existence. La France ne meurt pas dans un insondable repli sur elle-même, au contraire elle applaudit des véhicules publicitaires, tend les mains, des parapluies, des épuisettes, aux cadeaux qui tombent des vitres ouvertes. La France applaudit une caravane publicitaire dont le business est un système affairiste qui brasse des millions et des millions d'euros. La machinerie du Tour de France essore un budget colossal qui fait rêver la France, justement. Pas un rêve d'argent et de fric, non un rêve de prestige. Voir passer la caravane du Tour et voir fuser des coureurs qui, même chargés comme des mûles, de substances plus efficaces que n'importe quel turbo, ne perdent pas de leur superbe auprès d'un public enthousiaste. Cette France-là a le sourire accroché à l'âme, suspendu à l'esprit. Elle s'agglutine dans les fossés, en plein soleil, à l'ombre, dans une enfilade de camping-cars, sous un parasol de fortune. Elle cuit sous le soleil du bitume sans se plaindre, elle reste plantée des heures pour admirer un cortège de voitures décorées comme un carnaval et, plus sérieusement, derrière, cette France-là décuple ses efforts pour soutenir les coureurs qui pédalent dans un soleil crépitant. Des pancartes remercient le Tour de France d'exister. Il y avait, sur le parcours de cette étape, plus d'optimisme au mètre carré qu'il n'y en a dans toute une année de bonnes nouvelles. On aurait envie de descendre, de serrer des mains, de danser face à cette France grimée, déguisée, chapeautée de bob ridicules et de casquettes qui ne le sont pas moins. Peu importe. Justement, le ridicule ne tue pas et c'est pourquoi, des torses sans complexe, écarlates sous les gifles du soleil hurlant, brillent comme des miroirs le long de la route. Cette France-là, profondément rurale entre Tours et Saint-Amand,, qui dessine des lignes droites trop longues dans son paysage, des platitudes de routes où seul le vent souffle, cette France-là est fière de montrer que le Conseil général vient de refaire le bitume exprès pour le passage des coureurs. Que sans le Tour de France, peut-être que la route n'aurait jamais été refaite. Mais peu importe. Cette France-là ne ressent pas l'injustice du quidam devant le boyau du héros du Tour, puisque elle est heureuse, grisée, emportée par un élan fulgurant qui lui fait lever les bras au ciel, taper des mains, applaudir au passage d'une voiture publicitaire qu'un budget quotidien équivaut sans doute à un an ou deux ans de salaire. Elle s'en fout cette France-là : elle souffre, peut-être, mais elle veut voir des cyclistes passer, elle veut respirer la grande boucle. Comme au football, les salaires des footballeurs sont indécents, impolis même, mais cette France-là regarde les matchs, va au stade, s'enthousiasme pour un but maqué, un match gagné. Entre Tours et Saint-Amand-Montrond, ce fut une enfilade de bonheur sur 173 kilomètres. Un concentré de joie, sans arrière-pensée. De joie instantanée, qui campe au bord des routes, dans les virages, dans les villages, sur les places, au terrasses, partout où la vue s'ouvre sur un pan entier de cette fête nationale. Il faudrait filmer cette France-là, la photographier, immortaliser ce fluide sans noirceur, retenir cette lumière qui part des visages, stocker le rire, le sourire, l'oeil qui pétille. Ce public-là est l'antithèse de toutes les analyses sociologiques, de tous les billets gris, l'antithèse des chroniques d'outre-vi et des journaux télévisés. Ca sent la saucisse grillée, ça sent la peau qui crame sous les UV violents. Ca sent la fête des voisins, la fête des copains, les réunions de famille. On a vu un canapé sur le bord d'une route. Des tables dressées pour un pique-nique. Des pensionnaires d'une maison de retraite, des centres de loisirs, des groupes humains dehros, réunis pourquoi ? Pour le passage du Tour de France. Et pas question de snober les bonjours, les coucous, les hourras. Si vous refusez de répondre, vous entendez du public, fuser une incompréhension légitime. Car cette France-là est le miroir de la joie alors pas question de ne pas la refleter. 173 kilomètres d'un sourire et d'une énergie sans temps mort. Peu importe la crise, le dopage, le fric, le temps pourri du printemps. L'instant de quelques heures, le tour de France fait pédaler la France dans autre chose que sa propre semoule. Un antidote contre la morosité. Pour bien faire, le Tour de France ne devrait jamais s'arrêter de l'année, pour maintenir une constante du bonheur que les sondages ne pourraient que relever. Il y a bien longtemps que la politique est incapable de soulever des rêves. Cette France-là a tout compris. Elle souriait comme jamais elle n'a sourit. Belle leçon.
Billet de blog 14 juillet 2013
Le Tour de France rend la France heureuse
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