Le café National, le petit Paris, le pub Héreford, les Messageries.... Les bistrots du centre-ville laissent des vides derrière eux. Sans compter ceux, à Vierzon, qui sont à vendre ou à céder. L'avenue de la République s'est débistrotisée. En bas, les places Foch et Mail régulent encore les clients grâce à leur activité brasserie. Le marché du samedi tient une clientèle en haleine de comptoir, besoin de discuter autour d'un verre ou d'un café. En dehors des commerces traditionnels qui plombent l'activité en baissant leurs rideaux, la disparition toujours plus rapide des débits de boissons devrait éveiller les consciences qu'une page primordiale se tourne.
De tels lieux de réunion et de convivialité qui ferment un à un leurs portes présagent d'une addiction toujours plus folle de l'individualisme de cette société qui se referme comme une fleur, sur elle-même. Quand le dernier bistrot aura disparu, il sera trop tard pour crier au loup, à l'injustice, à l'anormalité d'une vie quotidienne réglée, aussi, par la pendule du zinc. Regardez dans les quartiers de Vierzon ce qui se passe. Seule le Bazile Bar reste allumé dans la nuit hivernale. A Villages, la Renaissance est en cendres, la Potinière, grand bistrot jamais repris, est une usine à sandwichs. Aux Forges, un bistrot sur deux a portes closes. A Bourgneuf, la survivance de l'ex-café de l'Avenue doit son salut à la fermeture du café de l'Union.
Et rien, aucune réaction. La fermeture d'un café n'est pas seulement la fermeture d'un commerce. Ce n'est pas un deuil commercial mais sociétal. Une entaille dans le processus de vivre une ville. Le Petit Paris, avenue de la République, drainait le croissant matinal autant que le plat du jour et l'apéro de la soirée. On se bat, chaque année, contre le passage à l'heure d'hiver et à l'heure d'été, mais personne ne se bat contre la disparition des bistrots. Bien sûr, s'ils ferment, c'est qu'il y fatalement, une pénurie de clients, de vie, de tourbillon. Il y a longtemps que le café n'est plus le centre névralgique de la vie associative. Qu'aux arrière-salles de cafés, de plus en plus rares, les associations préfèrent le néon froid d'une école réformée ou le confort douillet d'un centre associatif anonyme et sans chaleur. Il est temps que le citoyen reprenne ses racines où il les avaient quittées.
Le bistrot de quartier absent, c'est la vie de quartier qui s'effiloche. La philosophie de quartier qui prend l'eau. Le bistrot, c'est le carrefour de l'actualité, de l'information, de la déformation, de l'exagération mais c'est aussi et surtout, le carrefour de la parole, du murmure, de la solitude à plusieurs et de revue de groupes. Il faut mettre les bibliothèques dans les cafés, les librairies dans les cafés. Il faut équiper les bistros en anti-chambre d'une nouvelle activité humaine. Ce n'est plus l'ère de la télévision, c'est l'ère de l'ordinateur, de la connection, du rendez-vous numérique. Il faut attirer dans ces lieux magiques, d'autres strates de la société humaine pour justement cimenter l'esprit collectif de la société. Il y a urgence à repenser les bistrots, en harmonisant le besoin de racines et d'un certain goût de suranné avec l'exigence de la modernité numérique. Quoi de mieux qu'un Facebook bistrotier avec de vrais amis, en chair et en os où la discussion est naturelle et non soumise à des débats de cafés-littéraires ou pohilosophiques dans lesquels les thèmes sont normés et imposés.
Avez-vous eu besoin, un jour, d'imposer une conversation dans un bsitrot ? Ne s'est-elle pas faite d'elle-même, avec la matière humaine et chaude qui se trouvait collée au comptoir ou assis à une table ? Le zinc, le caboulot, le bistrot, bordel, c'est le dernier maillon d'une réaction en chaîne où domine le repli de soi et sur soi. Ecrire dans un bistrot, écouter dans un bistrot, lire dans un bistrot, surfer dans un bistrot, rire dans un bistrot, juste être là dans un bistrot, toutes ces situations n'ont aucun équivalent ailleurs. Et quand le silence bistrotier déborde dans une rue, dans un quartier, dans un village, c'est l'heure de fermer les esprits, les consciences et de verrouiller le métabolisme de la démocratie. S'il ne doit rester qu'une seule porte ouverte, ce ne peut pas être celle de la mairie ou du médecin, mais celle du bistrot. Non pas multi-services, c'est trop froid. Mais multi-humain. Bordel, cessez toute activité et précipitez-vous dans le moindre café encore ouvert. Pour tapisser son avenir de la plus belle façon qui soit : nous, les coudes en bataille sur des lendemains qui chantent. Gourio (1) président ! Le reste n'est que roupîe de sansonnet.
(1) Jean-Marie Gourio a sorti un nouvel opus de ses bienfaitrices Brèves de comptoir.