Le phallus du capitaine du Costa Concordia a la forme, parait-il, d'un impressionnant bateau de croisière. Celui du conducteur du TGV espagnol a la forme, dit-on, d'un train dont la locomotive est effilée pour transpercer l'air de son nez plat afin de s'y enfoncer le plus loin possible. Toute histoire de performance est d'abord une histoire de technicité. Le jeu préféré du capitaine du Costa consistait, avec son phallus en forme de bateau, à frôler les côtes pour impressionner les récifs et exciter ses semblables que la vue d'un tel mastodonte réveillait les fantasmes les plus fous. Un vieux dérivé de phallocratie dont la pudeur exige cependant de garder son pantalon mais d'exhiber ses attributs d'une autre façon, aux yeux de toutes et tous, par la taille d'un engin qui fend l'eau, sans souci de grâce mais avec le souci évident de montrer sa puissance. Doux objet de déférence. L'évolution maritime a scié le mât des bateaux et forcément dégonflé les voiles ventrues d'un vent inconsidérement érogène, un vent qui avait l'aptitude de gorger de vitesse et de dureté, les lobes boursiers qu'on appelle les voiles, de chaque côté du mât. Cette évolution maritime qui a remplacé le vent dans les voiles par la vapeur d'abord et les moteurs à explosion entrainant des hélices ensuite, a sans aucun doute castré inconsciemment les mâles conducteurs des esquifs en tous genres, obligés, pour rivaliser avec les autres mâles du continent, de montrer au plus près, la magnificence de leur outil de travail. En caressant la rive au plus près, le capitaine du Costa Concordia, s'est pris les pieds dans la profondeur de son orgueil. Si le bilan n'était pas si dramatique, l'analyse freudienne qui bien sûr, peut -être dénoncée à tout instant, serait risible. Et le ridicule aurait remplacé le drame humain. Pourtant, le capitaine du Costa Concordia continue à se tenir raide sur ses deux jambes, habité par la noblesse de sa tâche que trente-deux morts n'entâchent aucunement. Si ce capitaine-là avait conduit un radeau, il serait de la Méduse. Ou une coque de noix arrimé à deux bidons. Mais ce n'est pas le cas. A la mort d'êtres humains s'ajoute la honte d'un bateau couché que renflouer tient du défi à coups de techniques élaborés. Le désir seul de remettre à flot ne suffit pas.
Le conducteur du TGV espagnol a sans aucun doute les veines gonflées de testostérone. Si le capitaine du Costa Concordia avait, dans son délire de puissance virile, une certaine idée de l'érotisme et du frôlement sensuel de son embarcation avec les rives du monde, le cheminot espagnol avait au coeur d'entrer en force. Il devait penser que, nanti d'un engin aussi long et aussi souple qu'une enfilade de wagons tractée par une tête moins pensante que puissamment motorisée, l'art n'est pas de faire dans la dentelle. Plus un corps s'enfonce vite dans la mollese d'un autre, en l'occurence un mur d'air, et plus l'effet est saisissant, pensait-il. Le conducteur du train aux commandes de son phallus à grande vitesse n'avait autre jet à défaut de projet, que de tenter une approche brutale d'un rapport entre son engin et ses limites. Imaginez un frimeur en puissance qui se vautre sur la première peau de banane venue, la scène est forcément risible. Si le bilan humain n'avait pas été aussi tragique, le cheminot espagnol aurait pu s'enrouler l'élasticité de son membre fantasmé autour du cou sans qu'aucune conséquence grave ne s'en ressente sur cette basse terre. Malheureusement, l'appel de la virilité était la plus forte : une telle débauche d'excitation aurait pu le saisir à la vue d'un tunel dans lequel il aurait pénétré avec une vitesse iraissonnée, avec cette même logique que la vitesse est proportionnelle à l'exploit. Dans un virage que la prudence exige d'aborder à une vitesse moyenne, le cheminot espagnol a choisi l'option de passer en force. Même en matière phallique, les lois de la physique s'appliquent. Deux exemples que retiendront l'histoire inséparable de l'orgueil viril, de la puissance et du mépris pour les autres. Pour l'un, une puissance magnifiée par le tonnage de son engin. Pour l'autre, une puissance effilée par l'aérodynamisme amoureux de la vitesse. Chaque homme qui pilote un engin, vélo, moto, voiture, bateau, avion, train, a-t-il, dans un coin de sa géographie cérébrale, une connexion qui, pour une raison purement virile, fait défaut au moment du passage à l'acte ? Si les bilans du Costa Concordia et du TGV espagnol ne marquaient pas l'histoire dans la rubrique tragique des faits divers, la honte qui recouvre d'une peau épaisse, les deux hommes en question, se convertirait en un grand éclat de rire. Qui n'est autre qu'un grand éclat de larmes. La phallocratie a ses limites : celle de défier les lois de la physique ordinaire.