C'est un joli mot : antisystème. On ne le croise pas souvent dans la presse. Et un jour, on le croise, plusieurs fois de suite, dans deux articles complètement différents. Dans Libération daté du lundi 30 décembre, le mot "antisystème" apparaît dans les quatre pages consacrées au triste Dieudonné et sa très triste quenelle qui pendouille entre les jambes de son encore plus triste antisémitisme. On croise le même mot, mais pas à la même sauce, dans les deux pages consacrées cette fois-ci au tonitruant Jean-Luc Mélenchon, iniateur du Parti de gauche et du Front de gauche, lui aussi, chantre de l'antisystème. Rien à voir entre les deux hommes. Attention, rien du tout. Cette précision est importante car certains y verraient un rapprochement de familles délibéré alors qu'il ne s'agit là que d'une description du contenu d'un quotidien. Le lien entre les deux hommes n'a qu'un pont en forme de mot : antisystème. En cette fin d'année 2013, le trip c'est d'être antisystème, en dehors du système donc ou contre le système établi plutôt. Dieudonné est contre le système qui, pense-t-il, le persécute. Une petite bouffée psychiatrique ne serait pas de trop mais, ne victimisons pas plus qu'il ne l'est ce pauvre Dieudonné qu'une quenelle suffit à ravir. Ne pas en parler reviendrait à acquiescer. En parler revient à en faire la promotion. Le mieux, c'est d'avoir personnellement son avis sur la question. Le reste n'est qu'affaire de mode qui, comme c'est justement la mode sur internet, passera à une vitesse fulgurante pour faire place à autre chose. D'autant que la quenelle n'est pas un repas de fête. Le boudin blanc serait plus à la mode, mais l'exercice réthorique risque d'être casse-gueule. Stoppons.
Reprenons l'antisystème. Contre le système. Comment peut-on croire que l'on peut être collectivement contre un système pusique, justement, c'est la collectivité qui créé ce même système ? On ne peut être résolument qu'antisystème, mais seul. Car à plusieurs, l'antisystème devient un système auquel chacun est soumis. Et rebelote. En poussant la logique jusqu'au bout, les antisystèmes du système établi né lui-même d'un précédent antisystème se retrouve à créer le système originel. On perd du temps et de l'énergie. L'antisystème est un cheminement intellectuel qui peut nous pousser à vivre dans un antisystème pensé mais virtuel. Car forcément attaché au système dans lequel on vit. Et c'est justement l'existence d'un système établi qui pemet de pouvoir lutter contre. A condition d'en avoir les moyens. Certains plus facilement que d'autres. Nicolas Anelka, par exemple, est tellement dans le système de l'argent facile eut égard à sa charge de travail quotidienne que peut abattre un footballeur professionnel qu'il est effectivement en dehors du système traditionnel. Alors, il peut jouer à faire une quenelle pendant un match. Il vomit tellement le système, qu'il s'en gave, s'en repaît et pour combattre l'ennui, il s'amuse. C'est pour cette raison qu'il faut être indulgent avec Nicolas Anelka et comprendre que son antisystème chronique est une souffrance qu'il exprime comme il peut. Pauvre bonhomme. L'intelligence qu'il n'a pas, il la mime.
D'autres se disent antisystèmes. C'est facile de le dire, encore faut-il le prouver. Dieudonné vit du système, du système qui consiste à payer sa place pour assister à son spectacle, par exemple. Car au fond ce n'est qu'un spectacle, navrant c'est vrai, mais un spectacle de posture qui alimente le système de telle façon qu'il peut se dire antisystème. Qui le croit ? Et ceux qui mécaniquement le suivent seraient antisystèmes parce qu'il réalise le geste qu'un bouffon leur demande de réaliser en public ? Ces antisystèmes-là sont des victimes, des victimes du système Dieudonné. Mais ils ne s'en rendent pas compte. Après, d'autres se disent aussi antisystèmes. Certains politiques adorent l'être, surtout quand le système leur permet d'avoir un mandat, payé par le contribuable, qui lui, est dans le système jusqu'au cou, pour permettre aux élus d'être antisystèmes. De préférence au soleil. Etre antisystème dans un système auquel on peut échapper en laissant les autres patauger dedans, voilà qui est courageux ! Mais là encore, pas d'amalgame, entre l'antisystème commercial et nauséabond de Dieudonné et l'antisystème politique, de façade. C'est juste histoire de briser l'uniformité d'une société qui, en fait, vous broie, vous transforme en poudre, vous rend transparent, vous collectivise. Et si rien n'est fait pour sortir du lot, vous voilà transformé en être gris sur un fond gris.
Alors, ceux qui croient qu'un geste de ralliement marginalise son auteur et le décrète antisystème, ils se trompent. Ils ne font que se ressembler tous et leur philosophie tombe à l'eau. Combien sont-ils celles et ceux qui, en s'habillant d'une certaine façon, veulent échapper à l'uniformité vestimentaires jusqu'au jour où ils s'aperçoivent que justement, ce sont les autres, habillés différemment qu'eux, qui finissent par rompre l'uniformité. Prenez 100 personnes : 99 portent une cravate. Le centième non. Qui est la plus gênée ? Prenez 100 personnes. 99 ne portent pas de cravate. Qui est marginal ? Celle qui en porte une, ou les 99 autres qui n'en portent pas ? Et si chacune tour à tour se met à porter une cravate pour se différencier des autres, tout le monde en portera une. Vous voyez. L'antisystème est un luxe. Que peuvent s'offrir ceux qui en ont les moyens. Mieux que ça : ils poussent les autres à les copier ou à les suivre. Mais c'est une pure question d'ego. Le véritable antisystème qui existe, c'est de remettre constamment en cause ce qui est établi pour rompre la conformité. C'est pour cette raison qu'un antisystème a une durée de vie très courte. Comme les idées qui le caractérisent.