Il est déjà loin le temps où le chef d'Aube dorée, Nikolaos Michaloliados, éructait devant les journalistes abasourdis le soir des résultats de mai 2012 qui créditaient le parti de 21 députés : «Une nouvelle Aube dorée se lève en Grèce. Pour ceux qui trahissent la patrie, le temps est venue d’avoir peur... Nous arrivons ! » . La « bataille de la rue » assumée par ce parti néonazi lui échappe, et la peur a changé de camp. En effet, après le brutal coup de frein enclenché par le gouvernement qui se montre assez décidé à briser l'influence d'Aube dorée - du moins dans la société - six députés néonazis ont perdu leur immunité parlementaire, le dirigeant et quelques hauts responsables sont en prison dans l'attente de leur jugement. Désormais, le parti ne reçoit plus de subventions de l’État et plusieurs locaux ou bureaux doivent fermer. Aussi, des membres ou anciens membres d'Aube dorée sont prêts à témoigner contre leur parti devant la Haute Cour, ce qui peut aider les enquêteurs à trouver la cachette des quelques milliers d'armes que possède le parti. Si Aube dorée a posé un genou à terre, pourquoi alors commettre ces assassinats qui jettent de l'huile sur le feu? Pourquoi livrer des martyrs aux néonazis qui sont plus que jamais déterminés et convaincus dans leurs luttes atroces ?
Les assassinats ont eu lieu vendredi soir, dans le quartier Neo Iraklio dans le nord d'Athènes, alors qu'une réunion devait avoir lieu dans un bureau d'Aube dorée. Le visionnage des caméras de surveillance témoigne de la préparation minutieuse du crime. Un homme descend d'une moto garée à une cinquantaine de mètres du local et conduite par un complice portant un casque. Il s'approche d'un groupe de quatre personnes postées devant l'entrée du bureau du parti, et arrivé à une quinzaine de mètres d'eux, il commence à tirer. L'un réussit à se sauver à l'intérieur du bâtiment. L'assassin blesse sérieusement un membre d'Aube dorée qui tentait de fuir – il est toujours en soins intensifs- et tue presque à bout portant les deux autres membres qui sont tous les deux touchés à la tête et au thorax. Les victimes sont toutes jeunes : 22, 26 et 29 ans comme de nombreux membres d'Aube dorée. Une douzaine de balles ont été tirées en l'espace de dix secondes, une treizième a été retrouvée, probablement par un individu qui pourchassait les assassins en fuite. La moto aurait été retrouvée incendiée à deux kilomètres de là. Peu de temps après, une cinquantaine de membres d'Aube dorée se rassemblent devant le lieu du crime pour manifester.
Le parti néonazi est, à son tour, sous le choc et exprime sa colère contre le gouvernement et plus particulièrement contre Nikos Dendias, le ministre de l'Ordre Public en charge de la police. La femme du leader d'Aube dorée, aussi députée, a directement accusé le ministre du meurtre. Celle-ci, ainsi que deux autres députés, ont dû remettre leur permis de port d'armes à la police sur requête du ministère de l'Ordre Public quelques jours plus tôt, le parti étant qualifié d' « organisation criminelle ». Nikos Dendias a aussi retiré la protection policière dont bénéficiaient plusieurs membres importants d'Aube dorée. « Il savait que nous étions la cible de terroristes » affirme Panagiotis Iliopoulos, un député du parti néonazi. Dimitris Koukoutsis, autre député, explique qu'« Aube dorée a continué à exister malgré de nombreux coups injustement portés contre lui depuis quelques temps et elle continuera à se battre pour les droits des Grecs. » À euronews , il déclare : « Nous disons depuis le tout début que nous avons été la cible à la fois des médias et du gouvernement » qu'Aube dorée qualifie désormais « d'anti-Grec ». Depuis les arrestations, ce parti s'enferme dans une rhétorique de victimisation, conspirationniste et complotiste. Le ministre pointé du doigt a exprimé sa « tristesse à l'égard de la mort de jeunes hommes... Nous ne permettrons pas à notre pays de devenir le lieu des règlements de comptes ». Enfin, le porte-parole du gouvernement a déclaré que les assassins seront poursuivis sans relâche. Étonnant de la part de ceux qui n'ont pas levé le petit doigt alors qu'Aube dorée attaquait et parfois tuait des immigrants. Faut il attendre que des grecs meurent dans ce pays pour entendre une réaction officielle ?
Pratiquement la totalité des médias et de la classe politique souligne la menace que constitue cet assassinat pour la démocratie et pour le pays. Pour les quotidiens Ta Nea et Ethnos, de centre-gauche, ces attaques ne visent pas tant Aube dorée que « la démocratie elle-même ». Le quotidien de droite Eleftheros Typosne ne dit pas autre chose : «Il est certain que les auteurs des faits ne cherchaient pas simplement à exercer des représailles politiques contre Aube dorée mais visaient la stabilité du pays». Eleftherotypia (gauche) rapporte les propos de plusieurs hauts fonctionnaires du gouvernement : «Si il y a vingt jours j'étais inquiet de l'évolution, maintenant je peux dire que j'ai peur » . Seul Avghi (gauche) s'inquiète de la stratégie de victimisation qu'Aube dorée utilise. Panos Kammenos, chef du parti Grecs Indépendants (droite nationaliste) affirme que « certains veulent mener le pays à la guerre civile ». Pour le porte-parole du parti Gauche Démocratique, qui s'est retiré de la coalition en juin 2013, ces assassinats constituent « un développement très dangereux qui pourrait conduire à un sanglant cercle vicieux se propageant dans un pays déjà déchiré ». Enfin, un député de Syriza, Dimitris Papadimoulis, a qualifié la fusillade de « gifle pour la démocratie ». Sur son compte tweeter, il écrit : « ça nourrit le fascisme, et non le combat ».Citant un commentateur politique, le Guardian s'inquiète d'un possible regain de popularité d'Aube dorée : « Ma crainte, c'est qu'Aube dorée exploitera [ces assassinats] pour montrer qu'il est lui aussi persécuté, que ces propres membres sont tués de sang-froid ». Le journal écrit : « Dans un climat politique explosif déjà empoisonné par le désespoir... la mobilisation contre Aube Dorée a exacerbé les tensions. Les meurtres de sang-froid ont secoué les partis politiques et la fragile coalition ».
Les assassinats n'ont pour l'instant pas été revendiqués. L'AFP affirme que «des grecs de la gauche radicale ont vivement recommandé aux suiveurs sur des médias sociaux de ne pas tirer des conclusions trop hâtives selon lesquelles ces assassinats ont impliqué des adversaires du parti d'extrême droite ». Il semble que la police se concentre sur la piste de membres de guérillas urbaines, affiliés à un ou des groupes extrêmement radicaux. En effet, l'arme utilisée pourrait être la même que celle du meurtre d'un policier en 2009 par un groupe se nommant « La secte des révolutionnaires», qui peut être aussi impliqué dans l'assassinat du journaliste Sokratis Giolias en 2010. Les méthodes sont souvent brutales voire mafieuses. Les deux victimes ont reçu plus d'une quinzaine de balles lors d'un coup monté. L'homme, présenté comme journaliste d'investigation, était aussi un collaborateur d'une unité de police antiterroriste et selon le site Occupied London ses articles « pouvaient avoir comme seule source le QG de la police ». Quant au policier assassiné, Nektarios Savvas, il s'agissait d'un garde du corps qui protégeait un témoin clef lors d'un procès impliquant un ancien groupe terroriste d’extrême gauche « Lutte populaire révolutionnaire ». Libération précise que « des attentats contre des cibles diplomatiques, judiciaires, des services publics ou des agences de banques sont fréquents en Grèce. Ils ne font généralement pas de victimes et sont revendiqués par des groupes à la rhétorique «révolutionnaire» et anti-autoritaire. » Ces groupes pratiquent par exemple l'incendie de locaux d'Aube dorée comme celui du 13 février 2013 au Pirée n'ayant pas fait de victimes. Les crimes de la « secte des révolutionnaires » s'apparentent à une punition mortelle ou vengeance. Mais l’assassinat de ces deux membres d'Aube dorée n'a pas de lien direct avec la lutte contre le terrorisme, fil conducteur de ces deux précédents meurtres. Toutefois, un autre groupe de guérilla urbaine se nommant « Conspiration des Cellules de feu » (ce nom ne s'invente pas) est dans le viseur de la police. Libération nous explique qu'un membre emprisonné de ce groupe qui a commis un attentat en juin- sans faire de victime- a appelé récemment à la formation d'un « front uni » avec d'autres organisations du même genre, notamment la « secte des révolutionnaires ».
Dans un billet sans concession, (http://greece.greekreporter.com/2013/11/03/the-killing-season-opens-in-greece/ ) Andy Dabilis, affirme en conclusion « la saison de chasse est terminée, et maintenant la Grèce a ouvert la saison des tueries. Et vous devez espérer qu'elle se termine maintenant, mais elle ne le sera probablement pas ; parce que l'espoir fait vivre les gens, mais la haine les tue. »
Rémy P.
Sources:
vidéo du Guardian: http://www.theguardian.com/world/video/2013/nov/02/golden-dawn-shooting-government-resignation-video
http://www.theguardian.com/world/2013/nov/01/golden-dawn-killed-shooting-athens
Libération: http://www.liberation.fr/monde/2013/11/02/deux-jeunes-proches-d-aube-doree-tues-par-balles-a-athenes_944105