Les premières enquêtes de Serge Paugam sur la pauvreté ont confirmé que les personnes considérées comme pauvres sont souvent confrontées à des situations extrêmes associées à une rupture cumulative des liens sociaux. Parmi ces liens, le lien filial, autrement dit la famille. “L’attachement social, formes et fondements de la solidarité humaine”, publiée chez Seuil en février 2023, met en lumière les inégalités de préservation des liens familiaux selon les classes sociales.
Dans l’enquête SIRS (Santé, Inégalités et Ruptures Sociales) qui a été menée à Paris et dans la petite couronne, Serge Paugam a pu établir que la proportion de personnes n’ayant plus de relations avec leur père ou leur mère, alors que ces derniers sont encore en vie, est supérieure à 20% parmi les ouvriers (27,9% pour le père, 21,3% pour la mère) et décroît régulièrement, à mesure que l’on s’élève dans la hiérarchie sociale, pour atteindre un niveau inférieur à 5% parmi les cadres et professions intellectuelles supérieures (4,3% pour le père et 3,6% pour la mère)."Le délitement du lien de filiation ne touche donc pas les individus de façon égale, une inégalité souvent ignorée", commente le sociologue.
Une même enquête réalisée à Strasbourg révèle que la proportion d’ouvriers n’ayant plus de relations avec leurs parents y est plus faible qu’à Paris (18,8% contre 27,9% pour le père, 16,1% contre 21,3% pour la mère). “On peut sans doute expliquer cette différence par le fait que l’ancrage familial est plus facile à conserver pour les populations modestes dans une agglomération comme Strasbourg, en raison du moindre déracinement géographique, et d’une tradition culturelle et religieuse qui valorise la famille. Notons toutefois que la proportion d’ouvriers sans relations avec leurs parents reste nettement supérieure à celle des cadres aussi bien à Strasbourg qu’à Paris.”
Dans l’immense majorité des cas, le lien à la mère reste toujours supérieur au lien au père, laissant entrevoir un lien différencié fondé sur le sexe dans le maintien du lien de filiation. "La probabilité d’être dépourvu durablement de supports relationnels avec ses parents ou ses enfants varie fortement d’un milieu social à l’autre."
Serge Paugam de distinguer le détachement, qui lui est nécessaire, de la rupture : “Il faut se garder de confondre détachement et rupture, mais le premier semble même souhaitable dans bien des cas. Les psychiatres spécialistes des adolescents ne disent-ils pas qu’il est nécessaire de se détacher pour grandi ? Voir, par exemple, Marcel Dufo, Détache-moi. Se séparer pour grandir, Paris, Anne Carrière, 2007.”