La légalisation s’est produite en Allemagne pour de bonnes raisons. La prohibition : 1) ne baisse pas la consommation et encourage le marché noir, 2) ne garantit pas l’accès à des produits “propres” (sans pesticides ni métaux lourds), 3) représente du temps et des dépenses inutiles pour le système judiciaire, 4) limite les débats scientifiques sur les effets de l’usage sur la santé.
Après plus de vingt ans d’expérience de dépénalisation de l’usage de toutes les drogues au Portugal, la dépénalisation du cannabis en France ne devrait plus faire débat. Alors que l’ONU a enfin reconnu en 2020 les effets thérapeutiques du cannabis (à cause de ses propriétés anti-inflammatoires) [1], quelconque forme de punition de l’usage est absurde et injuste. Certes, on ne peut pas exclure que, dans un marché ouvert, la recherche du profit maximal puisse peser sur les débats, mais les “experts” en France devraient au moins reconnaître le succès au Portugal d’une approche entièrement sanitaire (non-punitive) face aux toxicomanies, à savoir des taux d’addiction parmi les plus bas en Europe.
Le débat sur les risques pour la santé de l’usage régulier du cannabis est certes légitime. Des études scientifiques suggèrent que l’usage régulier chez les adolescents pourrait avoir des conséquences irréversibles pour la santé mentale à l’âge adulte. Or, au Colorado comme dans d’autres états, 1) la vente est interdite aux moins de 21 ans, et surtout, 2) la légalisation ne s’est pas traduite par une augmentation de l’usage occasionnel ou régulier chez les adolescents. L’ancien gouverneur du Colorado, John Hickenlooper, qui au départ était contre la légalisation, le reconnaît lui-même [2,3].
Chez les adultes, l’usage régulier du cannabis pourrait avoir des conséquences négatives à long terme (par exemple perte de mémoire, anxiété et/ou dépression), mais aucune étude jusqu’à maintenant ne montre des effets irréversibles. S’il existe indéniablement un phénomène de dépendance psychologique chez certains usagers réguliers (environ un sur neuf, ce qui est plus bas que la nicotine et l’alcool), personne ne meurt d’overdose ni ne fume autant de joins qu'on fume des cigarettes. Une étude publiée il y a un an aux Etats-Unis montre que les psychoses enregistrées ne sont pas significativement plus élevées dans les états qui ont légalisé l’usage thérapeutique et/ou récréatif du cannabis [4].
La question en France n’est plus si on doit dépénaliser l’usage du cannabis, ou légaliser son usage thérapeutique ou même récréatif. Un débat qui se doit démocratique devrait aboutir au modèle de légalisation que nous voudrions suivre : le modèle uruguayen (controlé par l’Etat), celui des Etats-Unis (modèle privé), canadien ou allemand (semi-privés), ou un modèle alternatif.
En France, on pourrait imaginer un modèle original où : 1) la logique du profit ne l'emporte pas sur les efforts d’éducation, et 2) l’intervention de l’Etat se limite à garantir a) la régulation des produits vendus sur le marché et b) un débat permanent sur les effets de la légalisation. Une idée est la création de coopératives de production (culture et extraction de l’huile, produits à consommer) et de vente où les membres peuvent avoir un emploi ou participer volontairement à la production et à l’éducation des consommateurs en général.
En France comme ailleurs, il est bien temps d’avoir une relation saine, mûre et intelligente avec une des premières plantes que l’humanité ait domestiqué il y a 12,000 ans.
Notes
[2] https://www.cpr.org/2024/01/01/a-decade-of-legal-cannabis-in-colorado/. CPR est la radio publique au Colorado.
[4] https://jamanetwork.com/journals/jamanetworkopen/fullarticle/2800728