Une équipe scientifique hongroise vient de publier une étude qui montre que la N,N-diméthyltryptamine (DMT) possède des propriétés anti-inflammatoires et réparatrices dans le cerveau (stabilisation de la barrière cérébrale) [1]. L’étude, réalisée sur un modèle d’accident cérébral chez l'animal, offre un mécanisme d’action d’une chaîne en cascade déclenchée par l’activation du récepteur sigma-1 des cellules endothéliales et du système immunitaire périphérique. Il convient de rappeler que la DMT, la psilocybine, la mescaline, la mélatonine et la sérotonine sont des analogues structuraux et des agonistes (activateurs) des récepteurs 5-HT2A cérébraux, entre autres. La DMT a les particularités d’avoir un fort effet psychotrope et de se trouver dans les trois règnes du vivant multicellulaire: végétal, fongique et animal.
L’intérêt de chercheurs de Budapest pour cette molécule n'est pas un hazard puisque le premier psychiatre à l'étudier, Stephen Szára (1923-2021), était d’origine hongroise. Jeune chercheur à Budapest de l'après-guerre, il s’est d’abord intéressé au LSD, mais incapable de s’en procurer pour ses recherches, il s’est tourné vers la DMT, dont la synthèse chimique était connue depuis 1931. Peu après la répression de la révolution de 1956, Szára a émigré aux Etats-Unis, où il a eu une carrière scientifique importante, puis a renoué avec la communauté scientifique de son pays d’origine dès les années 1990. Szára a déterminé le métabolisme de la DMT et étudié ses effets chez des patients schizophréniques, études dont il a conclu des risques de psychoses mais aussi des possibilités thérapeutiques. C’est en 1972 que la DMT est trouvée dans le cerveau de souris, puis un an plus tard dans celui d’êtres humains.
Un autre chercheur qui a étendu la connaissance sur les effets du DMT est le psychiatre américain et ami de l’écrivain Terence McKenna, Rick Strassman (né en 1952). Après avoir découvert que la mélatonine était produite dans la glande pinéale, et tirant profit de bourses de recherches du gouvernement américain dans sa “guerre contre les drogues”, Strassman a conduit, au début des années 1990, des études cliniques avec des dizaines de volontaires. Les témoignages de “voyages” de 10 à 15 minutes décrivent une perte temporaire d’identité et des rencontres avec des êtres immatériels, mais aussi des confrontations avec des peurs profondes. Convaincu que la DMT induit un sentiment d’appartenance à la nature tout en stimulant l’imagination, Strassman a écrit le livre “DMT, the spirit molécule” (DMT, la molécule de l’esprit, 2001), plus tard tourné en film [2]. Adepte du bouddhisme pendant longtemps, il est devenu incontournable dans le débat sur les bénéfices de la méditation d’un côté et des psychédéliques de l'autre.
La DMT est l’ingrédient actif de l’ayahuasca, breuvage extrait de plusieurs plantes utilisées par des groupes indigènes d’Amazonie depuis des millénaires pour des rituels traditionnels [3]. Une des plantes utilisées pour le breuvage est riche en DMT alors qu’une autre produit un inhibiteur d’une enzyme présente dans le système digestif qui dégrade la DMT. Autrement dit, les Indiens ont trouvé un mélange de plantes qui, en améliorant l’absorption du DMT, rendent le breuvage plus efficace. L’Amazonie équatorienne et péruvienne est devenu un pôle de pèlerinage touristique du monde entier pour des rituels avec l’ayahuasca, et au Brésil il existe une Église qui se sert du breuvage lors de ses rassemblements religieux. Aux États-Unis, une décision de la cour suprême en 2006 permet l’usage de l’ayahuasca à des fins religieuses, comme c’est le cas du peyote (cactus riche en mescaline) depuis 1978. L’usage des champignons hallucinogènes (riches en psilocybine) est maintenant légal dans plusieurs États (Oregon, Colorado).
A la différence de Szára et Strassman qui ont utilisé de la DMT pure pour leurs études, Gabor Maté, un psychiatre canadien lui-aussi d’origine hongroise (né en 1944), s’est servit de l’ayahuasca pour traiter les addictions à des drogues dures à Vancouver, et ce jusqu’en 2012 quand les autorités canadiennes lui ont interdit de continuer. Les scéances d’ayahuasca peuvent avoir des effets hallucinogènes pendant plusieurs heures, sans perte d’identité. D’après Maté, ces scéances ont permis à nombreux de ses patients de toucher émotionnellement leurs traumatismes d’enfance à l’origine de leur toxicomanie. Juif rescapé de l’holocauste, il a écrit plusieurs livres à succès de psychologie et dénonce le génocide à Gaza. Dans son dernier livre “The myth of normal” (Le mythe de la normalité, 2022, maintenant disponible en français) [4], il explique les liens entre le stress de la vie moderne, la déconnection émotionnelle et la hausse de maladies mentales et physiques.
Rémy Kachadourian
Notes
[1] https://pmc.ncbi.nlm.nih.gov/articles/PMC12346280/
[2] https://www.youtube.com/watch?v=Y1pYkdBQIcI (sous-titres disponibles en français).
[3] https://fr.wikipedia.org/wiki/Ayahuasca
[4] https://www.fnac.com/a20953210/Gabor-Mate-Le-Mythe-de-la-normalite
Stephen Szára (1923-2021), Rick Strassman (1952-) et Gabor Maté (1944-), trois médecins psychiatres qui ont étudié les effets thérapeutiques du DMT, ingrédient actif de l'ayahuasca.

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