Le PIB est mort, voici la proposition de nouvel indicateur phare que j’ai développée avec deux autres chercheurs, Issaka Dialga et Coralie Vennin, pour le remplacer.
Il existe de nombreux indicateurs pour nous informer sur la qualité de vie et, subséquemment, sur la qualité des politiques publiques. Le PIB, qui mesure la production d’un pays, est le plus connu et aujourd’hui symboliquement le plus puissant. Il est aussi très critiqué, ce qui a donné naissance à une multitude d’autres indicateurs dont le plus connu est sans doute l’IDH (Indice de Développement Humain) qui mesure à la fois le niveau de richesse par habitant, le niveau de santé et le niveau d’éducation. À cette multitude de nouveaux indicateurs, il serait également possible d’ajouter une myriade de nouveaux indicateurs. Ainsi, avec seulement 10 indicateurs simples, il est mathématiquement possible de créer plus d’un millier d’indicateurs composites.
Alors comment trouver le ou les meilleurs indicateurs à mettre au coeur des politiques publiques ?
Selon nous, le meilleur indicateur pour les politiques publiques répond à une question toute simple : qu’est-ce qui est réellement important pour moi pour ma vie ?
N’importe qui peut se poser cette question et donner sa réponse personnelle. Il n’y a qu’une seule contrainte : il faut répondre par un ou plusieurs buts ultimes. Les buts ultimes ne sont pas des moyens ou des objectifs secondaires. Ce sont des buts tellement importants qu’ils surpassent les autres buts. Vous pouvez vous poser cette question, donner votre réponse personnelle et créer votre propre indicateur. Une commune, une région ou un État peut poser cette question à ses habitants et construire son propre indicateur à partir de leurs réponses.
Nous avons répondu à la question de savoir ce qui est réellement important pour nous pour nos vies, nous avons construit un indicateur à partir de notre réponse et nous espérons que cette réponse rencontrera les aspirations du plus grand nombre. Notre réponse est que ce qui est important pour nous pour notre vie est de vivre une vie heureuse, longue et soutenable, une vie soutenable étant une vie qui permet aux générations suivantes de vivre une vie aussi heureuse et longue que la nôtre. Nous avons construit un indicateur qui est en accord avec cette réponse et nous l’avons appelé l’indicateur de vie heureuse, longue et soutenable.
Voici la présentation des 3 dimensions de l’indicateur.
Vie heureuse. Nous définissons le bonheur comme le fait d’aimer la vie que l’on mène. Plus une personne aime la vie qu’elle mène, plus elle est heureuse. Plus une personne déteste la vie qu’elle mène, plus elle est malheureuse. Cette définition a de nombreux avantages. D’abord, cette définition est pertinente : nous préférons dans l’immense majorité aimer la vie que nous menons et, pour ceux d’entre nous qui avons des enfants, nous souhaitons aussi qu’ils aiment la vie qu’ils mènent. Ensuite, cette définition est simple, de telle sorte que chacun d’entre nous peut l’utiliser pour avoir plus d’influence sur sa propre vie et être plus heureux. Enfin, cette définition respecte la liberté de chacun en n’imposant pas une image de ce que doit être une vie heureuse. Il y a une mesure universelle de notre bonheur, mais ce qui fait que nous sommes ou pas heureux est individuel.
L’utilitarisme négatif est le fait de considérer qu’il y a un appel moral à réduire prioritairement la souffrance plutôt qu’à augmenter le bonheur de personnes déjà heureuses. Comme nous sommes utilitaristes négatifs, nous avons donné plus de poids dans l’indicateur aux réponses des personnes malheureuses. Ainsi notre indicateur oriente les politiques publiques vers la réduction de la souffrance plutôt que l’augmentation du degré de bonheur des personnes déjà heureuses ou très heureuses.
Au passage, pour ceux qui douteraient de l’intérêt d’introduire le bonheur dans les politiques publiques, qu’ils sachent juste que le seul fait de naître dans tel ou tel pays fait que l’on part dans la vie avec une bonne base pour être heureux… ou une bonne base pour être malheureux. La qualité des politiques publiques est le premier déterminant du bonheur.
Vie longue. Habituellement, les indicateurs composites qui veulent prendre en compte la durée de vie utilisent l’espérance de vie à la naissance. Nous avons choisi une tout autre mesure, peu connue, les années potentielles de vie perdues (APVP). Cet indicateur simple a la caractéristique de donner un surpoids aux morts précoces et plus la mort est précoce plus ce surpoids est important. Dans cet indicateur, il y a un âge de référence, 70 ans pour l’OCDE. Si une personne meurt à 70 ans ou plus tard, il n’y a pas d’année potentielle de vie perdue. Si une personne meurt à 65 ans, il y a 5 années potentielles de vie perdues. Si une personne meurt à 20 ans, il y a 50 années potentielles de vie perdues. La mesure des années potentielles de vie perdues oriente donc les politiques publiques vers la réduction du nombre de morts précoces plutôt que vers l’augmentation de la durée de vie des personnes âgées. Cela signifie des politiques publiques orientées notamment vers la réduction des cancers des enfants, des accidents domestiques, des accidents de la route, des suicides, des accidents de travail, etc.
Vie soutenable. La biocapacité est la capacité d’un territoire à produire des ressources naturelles et à absorber les déchets produits par les êtres humains. Cette biocapacité évolue d’année en année en raison notamment des changements climatiques. L’empreinte écologique, ce sont les ressources que les habitants d’un territoire prennent à ce territoire, pour leur consommation ou la consommation d’autres personnes. Nous avons mesuré la soutenabilité par le ratio biocapacité d’un pays sur empreinte écologique de ce pays. Si le ratio est inférieur à 1, alors l’empreinte écologique est supérieure à la biocapacité du pays, le pays consomme annuellement plus de ressources que ce que la nature produit. C’est une situation intenable dans le temps et qui met en danger la possibilité pour les générations futures, voire les générations présentes, à vivre une vie heureuse et longue. Si le ratio est égal ou supérieur à 1, alors le pays consomme annuellement moins de ressources que ce que la nature produit. Comme les calculs de la biocapacité et de l’empreinte écologique sont complexes, nous avons ajouté une marge de sécurité de 10%. Un pays est considéré comme étant dans une situation soutenable si son ratio de soutenabilité est égal ou supérieur à 1,1.
Nous vous avons présenté notre indicateur, l’indicateur de vie heureuse, longue et soutenable. Qu’en pensez-vous ? Auriez-vous répondu la même chose à la question de savoir ce qui est important pour vous dans votre vie ? Ou auriez-vous mis d’autres buts ultimes en valeur ?
Renaud Gaucher
N.B. Comme l’indicateur de vie heureuse, longue et soutenable a fait l’objet de l’écriture d’un article scientifique (en cours de soumission), son élaboration a suivi les étapes de la construction d’un indicateur composite : normalisation, agrégation, robustesse. La normalisation des données permet de mettre sous une même échelle des données différentes. L’agrégation des données permet de rassembler différents indicateurs simples en un indicateur composite. L’étude de la robustesse permet de savoir si les résultats de l’indicateur varient peu d’une méthode de construction à une autre.