Le public est venu nombreux aux séances organisées selon le principe du prix libre, à l'exception d'"Izkor, les esclaves de la mémoire", projeté le samedi 14 décembre à 4,50 euros dans le cadre d'un partenariat avec l'Estive, scène nationale de Foix et de l'Ariège. https://www.lestive.com/evenement/izkor-les-esclaves-de-la-memoire/
Voyage au coeur d'un pays fragmenté
Le samedi a été une journée intellectuellement dense; avec la projection l'après-midi à la salle multimédia du Mas-d'Azil de "Route 181, fragments d'un voyage en Palestine-Israël" (2003) Le titre de ce "road-movie" est une référence à la résolution 181 des Nations unies en 1947, qui a décidé de la partition de ce petit pays "de la taille de la Bretagne". Le film donne à voir un territoire divisé par des clivages et des barrages. "Route 181" a été co-réalisé par Eyal Sivan et le cinéaste palestinien Michel Khleifi, auteur notamment de "Noce en Galilée" (1987) Les deux parlent chacun la langue du deuxième, l'arabe pour l'un et l'hébreu pour l'autre. https://www.momento-films.com/product/route-181-fragments-dun-voyage-en-palestine-israel/ Ce documentaire dense de 4 heures 30 est divisé en trois zones géographiques d'Israël -Palestine "visitées par les deux cinéastes: le Sud, le Centre et le Nord. Deux pauses d'un quart d'heure ont permis aux spectateurs de "digérer" cette oeuvre, qui, malgré sa durée peu commune, se visionne de façon très fluide.
Le soir à 20h30, le film de 1990 "Izkor, les esclaves de la mémoire" (souviens-toi en hébreu) tourné au début du parcours cinématographiques du cinéaste a montré un aspect méconnu, celui de l'enseignement mémoriel dans les écoles laïques israéliennes, notamment au lycée René-Cassin de Jérusalem https://vimeo.com/ondemand/izkoreng La caméra d'Eyal Sivan s'attarde avec bienveillance sur la jeunesse israélienne, en particulier lors d'interview avec les enfants d'une famille juive nord-africaine les Ohana.
Une mémoire tronquée?
L'Etat juif vit au rythme des commémorations, la Pâque juive, le jour de l'Indépendance ou encore la mémoire de la Shoah. Le film d'Eyal Sivan nous dérange et nous glace car il nous donne à voir des exemples non pas de transmission mais de "formatage" de la mémoire. Ainsi, une professeure fait réciter une liste de camps de concentration dans lesquels les Juifs européens ont été déportés massivement pendant la Seconde Guerre mondiale: Auschwitz-Birkenau, Theresienstadt, Madjanek, Bergen-Belsen... Mais à aucun moment le travail historique indispensable pour analyser les mécanismes du nazisme et du fascisme n'est mené. La Shoah est instrumentalisée par les autorités israéliennes en ces termes: "Nous avons été des victimes et nous ne le serons plus jamais" Ce "mantra"justifie ainsi le poids de l'armée, ciment de la société israélienne et l'enrôlement obligatoire de la jeunesse dès le lycée, de deux ans et huit mois pour les hommes et deux ans pour les femmes.
Les deux films ont été suivis d'échanges nourris entre le public, Eyal Sivan et ses deux complices Marie-José Mondzain et Jean Stern.
Aqabat Jaber
Les deux séances dominicales ont permis de mettre à l'honneur, le premier (Aqabat Jaber) et le dernier film (à ce jour) "État commun, conversation potentielle" du réalisateur franco-israélien. À 14h30, les spectateurs ariégeois ont pu voir "Aqabat Jaber, paix sans retour", documentaire d'une heure tourné dans ce camp de la province de Jéricho, en Israël-Palestine. https://vimeo.com/531876738
Eyal Sivan s'y est rendu une première fois en 1987, quelques mois avant l'Intifada. Le documentaire dans sa version actuelle est sorti en 1995, deux ans après les accords d'Oslo. Ce film frappe par l'absence de protagonistes israéliens. Le camp est "géré" depuis 1994 par les autorités palestiniennes. Les images de Nurith Aviv, célèbre directrice de la photographie et documentariste israélienne, ont su saisir les espoirs de la jeunesse palestinienne, notamment celui du retour vers les terres de leurs ancêtres, spoliées par la colonisation israélienne.
Vers un état commun?
Malgré l'actualité macabre en Israël-Palestine, l'événement au Mas-d'Azil s'est terminé sur une note d'espoir, avec le dernier film projeté "État commun, conversation potentielle". Eyal Sivan a tenu à rendre un hommage émouvant à son ami l'éditeur de la Fabrique Éric Hazan, récemment disparu, le 6 juin 2024. Ce dernier a eu l'idée du documentaire "État commun conversation potentielle". Leur ouvrage écrit à quatre mains "Un état commun entre le Jourdain et la mer", sorti le 23 novembre 2012 à la Fabrique https://lafabrique.fr/un-etat-commun/ est complémentaire du film. "État commun, conversation potentielle, par le dispositif du Split screen (écran séparé en deux), met en relation une vingtaine de Palestinien(ne)s et Israëlien(ne)s de situation et de pensées diverses. Ils ou elles partagent une volonté de faire "commun". https://youtu.be/WSaaBtq5DBY?si=YRYRtTUtVB0xi0n9
Parmi eux, Omar Barghouti, cofondateur de la campagne Boycott désinvestissement sanction (BDS), pour le boycott des produits issus des colonies juives, Gideon Levy, journaliste et éditorialiste à Haaretz, l'essayiste et cinéaste franco-israélienne Ariella Azoulay ou encore Michel Warchawski, figure de Matzpen, parti de gauche radicale israélienne. L'une des intervenantes du film parle de créer une "charte sociale nouvelle" pour un état commun. Une conversation avec laquelle Juifs Israéliens et Palestiniens devront renouer tôt ou tard.
L'événement Histoire-s de se rencontrer au cinéma s'est terminé par un mot de la programmatrice Maylis Bouffartigue. Celle-ci a remercié les équipes, la plupart bénévoles, qui ont permis cet événement et les partenaires dont les médias: Orient XXI, Canal Sud, Radio Galaxie, Radio Transparence, Azinat, la Dépêche, et la Maison de papier, la médiathèque, la mairie du Mas-d'Azil, l'Estive, les éditions du Bout de la ville.