Au premier étage de la Maison de papier, nouveau tiers-lieu au Mas-d'Azil, une pièce a été aménagée pour abriter ces deux rencontres. Floréal Klein, un des membres fondateurs des éditions du Bout de la ville, a introduit ces deux rendez-vous littéraires. La présence d'un libraire éditeur dans un petit village ariégeois est un mini-événement politique en soi.
Que ma mort apporte l'espoir
Jean Stern, ancien journaliste pour la Tribune, Libération, France Inter ou encore Amnesty international France, est responsable de la collection Orient XXI des éditions Libertalia. C'est dans ce cadre que ce compagnon de route du cinéaste Eyal Sivan, dont il a accompagné, avec Marie-José Mondzain, la projection des films, est venu présenter à un public assidu à la Maison de papier du Mas-d’Azil le 14 décembre: "Que ma mort apporte l'espoir, poèmes de Gaza." Le recueil, une cinquantaine de textes, publiés dans une édition bilingue français-arabe, a été coordonné par Nada Yafi. https://orientxxi.info/auteur/nada-yafi
Autrice de Plaidoyer pour la langue arabe (Libertalia, 2023), cette dernière a été interprète, notamment pour le président de la République Jacques Chirac dans les territoires occupés en 1996, directrice du centre de langue et de civilisation arabes à l’Institut du monde arabe (IMA) La postface a été signée par l'écrivain franco-palestinien Karim Kattan, avec lequel Jean Stern est très lié, et dont il recommande particulièrement le roman "Le palais des deux collines" (Elyzad, 2021). Avec sa voix grave et posée Jean Stern a lu plusieurs des poèmes du recueil dont celui qui a donné son titre à l'ouvrage. Ce poème a été écrit par Refaat Alareer, tué dans un bombardement israélien le 6 décembre 2023. Ses mots ont une résonance hélas prophétique: "S'il est écrit que je dois mourir, il vous appartiendra alors de vivre. Pour raconter mon histoire." Les droits d'auteurs de cette anthologie sont reversés à l'Office des Nations unies pour les réfugiés palestiniens l'UNRWA. https://www.editionslibertalia.com/catalogue/orient-xxi/que-ma-mort-apporte-l-espoir-poemes-de-gaza
Rendre compte de la réalité des Gazaouis
Jean Stern a également présenté lors de cette séance une autre publication, parue le 29 novembre 2024, dans la même collection "Journal de bord de Gaza". Ce journal du quotidien gazaoui est tenu par le journaliste palestinien Rami Abou Jamous, ancien fixeur pour les médias occidentaux. Depuis le 7 octobre 2023, la presse étrangère est interdite sur la bande de Gaza par les autorités israéliennes. Ces chroniques rédigée par Rami Abou Jamous, à partir du mois de février 2024, constituent un témoignage rare et précieux. Vous pouvez voir en complément l'interview du journaliste dans l'émission Au poste de David Dufresne. https://www.auposte.fr/dans-lenfer-de-gaza-avec-rami-abou-jamous/
Le travail exemplaire du reporter pour Orient XXI a été, à juste titre, récompensé par le prix Bayeux des correspondants de guerre 2024 et par le prix Ouest-France. Jean Stern rappelle à cet égard les origines démocrates chrétiennes de Ouest-France, le premier journal de la presse quotidienne régionale, l'un des rares à avoir encore des envoyés spéciaux au Moyen-Orient.
Accueillir, venu(e)s d'un ventre ou d'un pays
Le lendemain, le public Ariégeois était tout aussi nombreux à la Maison de papier pour assister à la rencontre avec Marie-José Mondzain. Philosophe, directrice de recherche émérite au CNRS, cette dernière a signé aux Liens qui libèrent, "Confiscation: des mots, des images et du temps." Cet ouvrage et la nouvelle publication de l'autrice:"Accueillir, venu(e)s d'un ventre ou d'un pays" s'inscrivent dans la collection Trans des Liens qui libèrent, dirigée par Dominique Quessada et Raphaël Liogier. L'objet de cette collection est précisément de sortir des assignations et du repli sur soi.
Dans son livre, Marie-José Mondzain compare deux formes d'accueil indispensables à la vie, l'accueil d'un nouveau-né et celui d'un étranger, selon le principe de l'hospitalité. La filiation et la "philiation", le lien. La pensée de Marie-José Mondzain se fonde notamment sur le décryptage des images. Dans le chapitre intitulé "L'île et l'exil", elle cite un documentaire tourné à la Jungle de Calais en 2016 par Nicolas Klotz et Elisabeth Perceval, sorti deux ans plus tard, "L'Héroïque lande-la frontière brûle" https://www.on-tenk.com/fr/documentaires/les-films-de-nicolas-klotz-et-elisabeth-perceval/l-h-ro-que-lande-la-fronti-re-br-le
L'humanité dans le dénuement
Malgré le dénuement des personnes migrantes l'humanité affleure. Dixit Marie-José Mondzain: "Voilà pourquoi la Jungle de Calais a resplendi dans son dénuement par la voie des gestes et des paroles d'humanité." Marie-José Mondzain se réfère aussi au film documentaire méconnu "L'ordre" (1974) de Jean-Daniel Pollet, l'histoire d'un lépreux grec Raimondakis, qui vit sur l'île de Spinalonga, en Crète. https://www.youtube.com/watch?v=VB66316FGKg
L'ouvrage de Marie-José Mondzain, et ce n'est pas la moindre de ses qualités, nous interpelle sur cette notion fondamentale de l'accueil. En guise de conclusion lors de sa présentation au Mas-d'Azil, l'autrice a récité ce "proème" de Francis Ponge contenu dans "Accueillir": "Présent à quelque jeu où l'ombre tolérée/ Forte à questionner ne répond que par monstres/ Accueillir un visiteur qui t'étrangera mieux/ Et par un front rebelle activera ton jeu/ Montre toi connaisseur des façons de l'abord/ Et dès ta porte ouverte afin qu'on ne s'éloigne/ Hôte à tort ne te montre oublieux de promettre/ Une lueur soudaine entre tes quatre murs" Tout est là, nous dit-elle.