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Billet de blog 20 mars 2025

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Auschwitz, une mémoire du temps présent

Danick Florentin et Gilbert Lazaroo ont participé le 16 mars, à la carte.blanche aux associations ariégeoises proposée par Histoire-s de se rencontrer. Un documentaire avec des collégiens Ariégeois, a été projeté lors de l'événement. Danick Florentin revient sur la genèse de ce beau projet mémoriel.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Durant toute l'année scolaire 2017-2018,  deux classes de 3e ( 54 élèves), avec des professeurs de lettres, histoire-géographie et musique du collège du Couserans de Saint-Girons ont mené un travail. Ce dernier les a conduits de l’Histoire des passages à travers la chaîne des Pyrénées, des résistants FTP et des guérilleros antifranquistes qui ont libéré l’Ariège par eux-mêmes à celle des Juifs assignés à résidence à Aulus-Les-Bains en tant qu’étrangers indésirables.

https://espace-memoire-histoire-vivante-aulus-les-bains.com/

Parallèlement, en cours de Français, les élèves se sont appropriés des extraits de l'oeuvre de Charlotte Delbo, notamment "Le Convoi du 24 janvier 1943" pour en proposer une représentation théâtrale. 

En ce qui concerne l'écriture proprement dite et la mise en scène et en voix du texte de Charlotte Delbo, des règles simples de travail ont été édictées : tous les élèves devaient écrire ( même une seule phrase), tous les élèves devaient intervenir dans la pièce (même pour un seul mot), enfin il fallait «coller » au texte de Delbo en adoptant sa simplicité, sa distance, son refus de toute emphase, de tout pathétique déplacé.

Un film devait rendre compte d'une part de l'évolution de la pièce de théâtre (écriture et répétitions successives) et d'autre part du voyage (27h de car départ de Saint-Girons!) de ces deux classes qui devait les conduire au camp d'Auschwitz-Birkenau et à Nüremberg au mois de mai. L'idée était de jouer cette pièce à Auschwitz et au Max Linder, cinéma de Saint-Girons en juin. 

Gilbert Lazaroo, président des Amis de la Fondation pour la Mémoire de la Déportation d'Ariège (AFMD 09) était chargé de faire le film du projet. Il est venu filmer les séances de travail, les répétitions et nous a accompagnés en Pologne pour finaliser la vidéo.

Contre nous de la tyrannie

Le film de la représentation des élèves de la pièce écrite en classe au cinéma Max-Linder de Saint-Girons existe également mais pas celle dite au camp. Nous l'avons joué là-bas comme prévu, à côté du camp des Tsiganes, mais le vent soufflant trop fort, il n’a pas été possible de le monter. Pour moi et j'imagine pour les élèves, ce moment reste exceptionnel.

Enfin pour la mise en forme du film (voix off, commentaires de coupe etc.. bref tout ce qui constitue un film de 40 mn), Gilbert Lazaroo est venu de nombreuses fois dans les 2 classes et a fait travailler les élèves sur le montage des séquences.

Précisons que nous sommes arrivés au bout de ce projet hors norme sans perdre personne en route (54 élèves!!!), ce qui est assez remarquable dans une vie de prof!

Cette absence de défection, l'investissement des élèves toujours plus volontaire, leur implication (parfois pointilleuse) qui se communiquait d'un élève à l'autre à mesure que le projet prenait corps, montrent à quel point ce type de travail peut parler à la jeunesse.

La langue de Charlotte Delbo

L'incarnation de la mémoire permise par le théâtre y est évidemment pour beaucoup, tout comme la langue simple et directe de Charlotte Delbo ou la mise en contexte permanente qui ne cultive pas l'émotion pour elle-même mais met en évidence les causes politiques, sociales et économiques des génocides et des crimes contre l'humanité.

Un tel projet est-il à reproduire ? Intégralement, certainement pas, tant il faut pour que « ça marche » que les enseignants en soient les concepteurs. Mais dans l'esprit, oui, inlassablement.

Quand en Europe et en France, les minorités deviennent les boucs émissaires des droites et de l’extrême-droite, quand celles-ci veulent légitimer leur violence en désignant l’étranger comme un danger mettant en péril les fondements de notre société, alors de tels projets sont indispensables.

Les témoins directs, anciens déportés et rescapés des génocides des Juifs et des Tsiganes, étaient, à partir des années 1980, un des atouts pédagogiques majeurs de la transmission de la mémoire. Aujourd'hui notre travail consiste à transmettre cette histoire alors que l'immense majorité des témoins sont morts.

La question se pose à une nouvelle génération qui s’empare de la tâche, de continuer le processus cette fois de comprendre la logique finale d’une société raciste prônant la supériorité d’une race de « seigneurs ».

La conscientisation des élèves, la formation des citoyens de demain-ce qui, somme toute, est et doit demeurer l'objectif essentiel de tout enseignement-consistera à travailler sur l’individualisation des destins des victimes afin d'atteindre et d'envisager la notion du «vide » que le meurtre de masse a voulu créer, ce vide qui ne pourra disparaître que si nous l’habitons pour arracher les victimes de l’oubli. Charlotte Delbo le fit dans "Le convoi du 24 janvier" pour chacune de ses compagnes et camarades d’infortune.

Dans quel monde vivent nos élèves ?

Ce qu'on appelle communément le narratif en vient à se substituer aux données chiffrées et aux arguments. Quand le récit remplace le réel, il est possible de considérer l'Histoire comme un ensemble de récits. Alors si tout n'est que récit, si l'Histoire est indéfiniment révisable, cela signifie que le négationnisme, en tant que contre récit est doté d'une sorte de légitimité a priori.

Chose étonnante donc, le narratif relève non plus seulement de la fiction, mais de la réalité ; non pas seulement d’histoires qu’on se raconte mais de l’Histoire et non pas de l’imagination mais de la politique, ou même de l'idéologie. 

Au-delà de la confusion délibérément recherchée et qui prolifère sur l'ignorance, la résignation et l'épuisement des consciences, un système mondial, un basculement planétaire s'installe qui met gravement en péril la possibilité de règlement pacifique des conflits construite avec l'expérience de nos anciens par la Charte des Nations unies.

Et il ne s'agit pas d'un complot car par définition les tenants d'un complot avancent masqués. Ici au contraire même si tout est faux, tout est dit. Un combat sans merci s'engage et doit s'engager; nous devons en tant qu'enseignants le mener.

Nota bene d'importance :

Les enseignants sont fortement sollicités par leur hiérarchie pour des tâches bien éloignées de leur fonction première et que dire de leur salaire et du nombre d'élèves par classe ?

Quelle société veut-on vraiment pour demain ?

Danick Florentin

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