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Billet de blog 22 octobre 2023

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La mémoire de Jane Sivadon

La résistante Jane Sivadon a vécu au Mas-d'Azil. L'historienne Armelle Mabon est revenue sur leur rencontre lors de deux conférences à Varilhes le 19 octobre et au Mas-d'Azil le 21 octobre 2023. Aperçu

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La conférence du 19 octobre a été précédée d'une brève introduction par Bruno Manuguerra, responsable du Centre d'Histoire de la Résistance et de la Déportation en Ariège à Varilhes. Celui-ci rappelle qu'Armelle Mabon est spécialiste du massacre de Thiaroye perpétré par l'armée française dans cette banlieue de Dakar, au Sénégal, contre des tirailleurs sénégalais, qui réclamaient leurs arriérés de solde, le 1er décembre 1944.

Ce soir du 19 octobre 2023 Armelle Mabon est ensuite revenue sur la genèse de sa rencontre en 1989 avec Jane Sivadon. Celle-ci était aveugle, avait 88 ans, et vivait discrètement dans une maison jouxtant l'actuelle gendarmerie du village du Mas-d'Azil. Pour l'anecdote, un correspondant de La Dépêche Jean-François Theuillon l'a connue comme infirmier à la fin de sa vie. Jane ne lui a jamais parlé de son passé de résistante.

D'assistante sociale à historienne

La recherche d'Armelle Mabon s'inscrivait dans un travail au long cours pour un mémoire de maîtrise publié en 1995 chez L’Harmattan sous le titre : Les assistantes sociales au temps de Vichy, du silence à l'oubli, aujourd'hui pratiquement introuvable. Ce travail n'est pas dû au hasard.

Avant de devenir historienne Armelle Mabon a été assistante sociale pour une filiale du commissariat à l'énergie atomique. Un jour, un responsable des ressources humaines a exigé d'avoir accès au courrier des assistantes sociales. En pleine épidémie du Sida, le respect de la confidentialité aurait d'autant plus dû être de rigueur. Mais une de ses collègues a transmis les courriers. L'expérience est violente. Armelle Mabon est licenciée au bout de neuf mois de harcèlement moral et ira devant les prud'hommes. Entretemps elle qualifiera sa collègue de "collabo".  Cette notion l'interroge.

Armelle avoue à l'assistance, venue l'écouter le 19 octobre à Varilhes, avoir eu un énorme préjugé sur le comportement des assistantes sociales pendant la Seconde Guerre mondiale. Elle pensait qu'elles avaient été très attentistes voire pétainistes. Ce préjugé sera battu en brèche par le recueil de témoignages. La jeune femme entreprend alors de retrouver les assistantes sociales survivantes qui ont alors entre 80 et 90 ans. Elle se rend compte que ces femmes n'ont jamais fait parler d'elles à la Libération, se sont fait discrètes et n'ont jamais éte reconnues par les autorités d'après-guerre. Elles ont eu le tort pour le mythe résistancialiste d'être des femmes et d'avoir travaillé sous les ordres du maréchal Pétain.

En réalité dans l'ombre, elles ont souvent soutenu secrètement des familles juives ou des résistants qui devaient passer la ligne de démarcation. La plupart de ces femmes étaient affectées au Secours national qui venait en aide aux civils. D'autres travaillant pour l'Oeuvre de secours à l'enfance(OSE), qui aidait les enfants juifs, étaient contraintes à la clandestinité. À Lyon, plaque tournante pour les réfugiés opérait Marcelle Trillat. Armelle Mabon a eu une interview émouvante avec elle. En juin 1944 la résistante est arrêtée. Elle sera torturée par la Gestapo qui tente de lui faire avouer où sont ses fichiers de personnes juives cachées, incarcérée au fort de Montluc.

Mais revenons au cas de Jane Sivadon. Armelle Mabon a eu la chance que celle-ci se livre facilement lors de leur échange en 1989, peut-être parce qu'à l'époque elle n'était pas encore historienne. Jane naît le 26 juin 1901 dans une famille de verriers ariégeois. Nommée directrice adjointe de l'école d'assistantes sociales, rue Princesse à Paris, dite des "surintendantes d'usine" en 1933 elle a en juin 1936 comme étudiante la future cofondatrice, avec Henri Frenay, du réseau Combat Berty Albrecht

C'est par son biais que Jane Sivadon intègrera la Résistance. Mais le groupe est infiltré par un agent de l'Abwehr. Le 2 février 1942 Jane est arrêtée avec Denise Lauvergnat et incarcérée à la Santé. Détenue à la prison de Cologne sa condamnation à mort est commuée en travaux forcés. Après être passée par les prisons de Lübeck et Cottbus Jane est transférée au camp de concentration de Ravensbrück le 15 novembre 1944.

Celle-ci, selon son témoignage auprès d'Armelle Mabon,  se pose alors beaucoup de questions sur sa vie de femme. Jane, célibataire comme beaucoup d'assistantes sociales de l'époque, se demande pourquoi elle n'a pas d'enfants. Elle s'invente même une petite fille durant sa captivité. Elle lui trouve un prénom imaginaire, fabrique dans sa tête ses vêtements. Elle est libérée le 22 avril 1945 par la Croix-Rouge internationale. Jane souhaite adopter une petite fille mais son frère le célèbre psychiatre Paul Sivadon l'en dissuade. Elle le regrettera toute sa vie. Jane s'investit un temps à l'Association nationale des déportées et internées de la Résistance (ADIR) dont elle est la première présidente le 4 novembre 1945 jusqu'en 1949.

Jane restera toujours amie avec ses camarades déportées dont Marie-Claude Vaillant-Couturier. Elle ne partage pas ses convictions communistes mais la considère comme une sœur. Sur le plan professionnel, Jane aura une certaine amertume de ne pas voir ses propositions entendues. La reconnaissance de son parcours exemplaire dans la Résistance par l'école des assistantes sociales sera tardive, avec une cérémonie posthume en 1995, année de son décès à Muret ou au Mas-d'Azil suivant les sources. https://maitron.fr/spip.php?article9821

Jane Sivadon aujourd'hui 

Dès les années 1970 Jane Sivadon passe sa retraite au Mas-d'Azil où elle s'implique dans la création de l'association de verriers huguenots La Réveillée. Sa nièce Denise Sivadon mais aussi des petits neveux de Jane,  présents lors de la conférence du Mas-d'Azil, le 21 octobre 2023, se sont émus de la démarche de l'historienne. Celle-ci a également échangé avec le maire du Mas-d'Azil Raymond Berdou. On peut rêver à ce qu'un jour une rue du Mas porte le nom de Jane Sivadon. Ce serait une belle façon de rendre hommage à une femme qui comme nombre de résistantes n'a jamais cherché à se mettre en avant. Le message est lancé.

Pour suivre l'événement Histoire-s de se rencontrer:

https://rencontretheatraleducarlabayle.wordpress.com/

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