Educ, autrement dit éducateur, c’est une fonction et c’est un métier. C’est l’un des métiers du travail social. Le social cela existe encore, même si c’est de plus en plus souvent chacun pour sa pomme. Le travail du social, un mirage, un écran de fumée pour ne rien y changer, pour aller toujours plus vers le consumérisme qui enrichi quelques élus de la sphère financière en contrepartie de l’abêtissement individualiste qui appauvrit la qualité du vivant, inonde le cerveau de messages tout autant mirifiques qu’asservissants ?
Quant à l’éducateur, où trouver le lien avec un travailleur digne de ce nom ? Educateur, cela peut faire sourire et même rire. Car l’éducateur a quand même beaucoup de congés, sans compter qu’il part souvent pour des séjours ici et là à accompagner des personnes en vacances. Pourtant l’éducateur travaille ; du moins il est salarié pour 35 heures hebdomadaires. C’est un métier parait-il, mais oui, et qui comprend plusieurs métiers. Eh oui, l’éducateur n’est pas un feignant. Il est factotum, bouche trou de là où il y a des manques et des besoins, un peu accompagnateur d’autres de ce qui leur fait quotidien et questions récurrentes et ce qu’ils peuvent en gérer au jour le jour dans la vie de tous les jours.: leur vie, leur mort, leur sexualité.
Dans ce désordre bien ordinaire, ce marasme plus ou moins glauque de l’accompagné, l’accueilli, le pris en charge, l’éducateur, en désordre lui-même de ce qui compose son propre vivant, est un professionnel polymorphe tour à tour et souvent sans transition un peu avocat, un peu cuisinier, un peu infirmier, un peu chauffeur, un peu père, un peu mère, un peu femme de ménage, femme de chambre, homme d’entretien, lingère, secrétaire, psychologue, écrivain, conseiller conjugal, assistante sociale, comptable, diététicien, standardiste, un peu pseudo-thérapeute et médicament.de l’autre.
Il n’est heureusement rien de vraiment tout cela et pourtant un peu plus ou moins en relais de tout cela, plus ou moins mêlé, emmêlé chez l’autre, par l’autre et par lui-même dans et hors de tout cela. En résumé, il est le plus possible éducateur, il est en relation, il écoute, communique, observe, soigne, repère et intervient au milieu, à coté de multiples comportements, pathologies, crises, angoisses, symptômes, dépressions, déviances, déficiences.
Il se réunionne avec d’autres pour causer. Il cause beaucoup, tellement qu’on se demande s’il lui reste du temps pour travailler. Il travaille en bande, il peut y être solitaire, solidaire, y mettre plus ou moins de barrières, de distances, de ralliement à un clan plutôt qu’à un autre. Confident, concurrent, il peut être loup, corbeau, renard, agneau, singe, autruche de ses collègues, de sa hiérarchie, qui peuvent être aussi ponctuellement des amis, des potes, des espèces de compagnons, compagnes de route professionnelle et même aussi parfois totalement privée.
L’éducateur est un chercheur et un promoteur de lien, de sens, de cohérence, de projet, de cadre, de partage, de convivialité, d’humour, d’empathie. C’est un idéaliste, un intellectuel, un pragmatique, un philosophe, un stratège, parfois un pervers, un manipulateur, un calculateur, un moraliste jugeant, un séducteur, parcourant et parcouru de trop de certitudes et de trop d’incertitudes. Comme l’ouvrier spécialisé qui n’est spécialisé en rien, cela offre l’avantage que toutes sortes de taches subalternes et pourtant indispensables, qui ne demandent pas une trop grande technicité, lui soient dédiées tout en n’étant pas vraiment professionnel de ces différents vrais métiers qu’il ne fait qu’effleurer plus ou moins à tour de rôle et sans ordre préétabli.
Et puisqu’il n’a qu’un métier ; celui malhabile et difficilement définissable d’éducateur, de militant de la reconnaissance au droit à vivre les différences, à la lutte contre la pensée unique, la facilité des allant de soi, l’enfermement des évidences, le tranchant des angles, la monotonie des lignes droites (alors que les lignes courbes, les rondeurs sont des invitations à des aventures bien plus excitantes…). C’est un métier jamais fini, il forge et façonne au gré des rencontres, des expériences qui martèlent l’outil de travail que l’éducateur devient, qui germe et se forme en lui avec et grâce à plus ou moins de bonheurs et de galères autant professionnelles que personnelles. Pourquoi s’en plaindre lorsque c’est un choix que d’exercer ce métier à multiples facettes et casquettes, où il ne fait pas carrière derrière un bureau ou une machine, où l’on passe l’essentiel de son existence dans du répétitif, où l’on devient spécialiste indéboulonnable de son poste, de son piédestal usé par la cadence et le train –train et les petits caporaux ?
En haut du panier, de plus en plus, l’éducateur labellisé spécialisé peut devenir donneur d’ordre, d’ordres et de leçon à ses subalternes AMP et moniteurs éducateurs devenus des espèces de sous-éducateurs. Cela peut être rassurant d’entrer ainsi par la petite porte de l’encadrement, d’une pseudo-hiérarchie, d’échapper ainsi au morcellement permanent de son identité, de sa fonction initiale et aux insignifiantes taches salissantes du quotidien. Autre fonction et peut-être aussi autre métier, cela se fait de plus en plus, sous le vocable de coordinateur, l’éducateur, s’il en reste quelque chose, n’est plus un incasable vivant dans un monde aux normes parallèles à la norme commune, un touche à tout, un faux bon à tout et un vrai un bon à rien de spécial aussi indispensable qu’indomptable.
D’une part, cela permet de calmer d’éventuelles indésirables ardeurs, résistances, d’autre part de rationaliser les couts salariaux, les ressources, les moyens humains. Cela permet au secteur du social d’accéder, en miroir il est vrai plus ou moins déformé, au modèle des autres entreprises libérales, de participer plus ou moins au jeu du marché, de la concurrence, d’adopter comme sacro-sainte règle le monde binaire du résultat mesurable, quantifiable, tout en revendiquant, il faut bien dans ce contexte, et ainsi tenter de sauver la face, recouvrir le reniement profond de ses fondamentaux, de ses origines, de son histoire d’un voile pudique d’éthique professionnelle (quoi qu’il arrive, « le spectacle doit continuer »), en posant comme postulat de revendiquer que le seul objectif reste et demeure d’organiser une offre de service, un travail de qualité similaire au moins si ce n’est meilleure encore.
Même s’il y a toujours moyen d’aller voir ou se faire voir ailleurs si l’herbe est plus verte[1], il est difficile de ne pas se sentir écartelé entre l’envie d’applaudir, et tout autant de se questionner, non pas sur ce qui a motivé à entrer il y a longtemps dans ce milieu professionnel, mais sur ce qui en reste pour tenir le coup debout le plus possible en attendant d’en atteindre le bout…
René Demont 19 mars 2014.