C’est le printemps !
Fontainebleau, le 20 mars 2013.
Comme la transhumance qui conduit les moutons tout en haut des alpages brouter une herbe plus verte qu’ici bas, là haut dans les nuages, quand mon heure sonnera, je n’aurais peut être pas d’autre choix que de suivre hagard une troublante bergère spécialement venue pour moi et qui me conduira au-delà.
Elle sera armée de son bâton menaçant, frictionnant mon auguste râble à la moindre résistance (j’y fais allusion ici car je suis assez fier de mon développement du râble), secondée par ses chiens loups disciplinés et aux crocs acérés, et m’abandonnera sans âme et sans état d’âme parmi le troupeau pléthorique des trépassés de tous les temps. L’herbe sera-t-elle alors vraiment plus verte ? Les reverrais-je ces chers cadavres exquis, ces succulents chers disparus ?
Alors, si c’est bien cela, j’y rejoindrai tous mes chats écrasés et empoisonnés, mes poissons rouges agonisés par manque d’air, et puis cette inoubliable poularde de Bresse au vin jaune et aux morilles et pourtant si largement digérée. Je retrouverai mes parents, ma famille connue et inconnue, mes potes, tous partis sans crier gare avant moi depuis l’âge des cavernes jusqu’à celui de nos tavernes et tous restés plus muets que des carpes, tous menteurs devant l’Eternel, n’ayant pas tenu promesse pour ceux croisés ici bas de me faire signe au cas où il y aurait quelque chose de l’autre coté.
De l’autre coté, qu’est-ce qu’il y a ? Est-ce qu’il y a seulement quelque chose, quelqu’un ou juste le silence éternel dont je n’entendrai même pas les bruissements par manque d’oreilles et d’entendement ?
Et si, effectivement il y avait quelque chose après, ne faudrait-il pas mieux se crever les yeux, les oreilles, s’arracher la langue et en finir vraiment, en os, échappant à la mémoire, enfin anonyme au fond de la fosse commune, plutôt que de vaquer au milieu de têtes de veaux ?
Ai-je réellement le souhait, d’autre choix, de me retrouver parmi ces tas de cancéreux, de pendus, de napalmés, de suicidés de Pauvre Emploi ou de ceux d’Orange o désespoir, des membres écartelés et des têtes tranchées de condamnés à mort, d’ensevelis au fond de mines, de marins noyés jusque dans l’eau de leur pastis, d’accidentés de la route et de la vie, d’affamés, d’esclaves de tous acabits et même d’immortels académiciens déjà si mortels de leur vivant, de tous ces morts incompris véhiculés depuis Juliette, son Roméo, son Alpha, homme et gars, tous issus de ce soit disant paradis terrestre et de la grande précarité humaine ?
Et puis, dans ces maudits alpages, dans ces nébuleuses chargées d’orages foudroyant quelques anges ailés ; poètes égarés là par des vents d’altitude si violents, à se prendre dans les yeux les cendres de dame Jeanne D’Arc mêlées à celles d’Auschwitz et d’Hiroshima, quel intérêt à fréquenter des mangeurs de pudding, de choucroute, de nems, de couscous même pas royal, j’en passe et, à défaut de meilleurs, de beaucoup moins ragoutants encore.
Je pense à tous ces décérébrés justes animés par leurs esprits calculateurs, manipulateurs ; par leurs comportements tortionnaires, barbares, sadiques, magouilleurs, moralistes en tous genres et qui ont passé leur existence à prier leur Dieu respectif d’expier, pardonner leurs fautes afin d’’ouvrir grandes les portes accueillantes d’un ciel qui leur serait clément.
Oui, ceux là qui, tour à tour vénèrent et brulent leurs idoles, insatisfaits permanents qu’ils sont et qui marchent ici-bas dans l’ombre ou en pleine lumière, le compte-en banque et l’ego surdimensionnés, pour mieux asseoir leurs folies, leurs tricheries, leurs inquisitions, leurs pouvoirs usurpés et meurtriers, sur les têtes de leurs congénères, consentants, frisant l’insignifiance jusqu’à en devenir des invisibles, des inaudibles, aveuglés de désinformation, abreuvés d’acculturation.
Tout comme j’en évite la fréquentation et l’agitation dans le temps qui m’est attribué tant que mes pieds touchent terre, je ne suis donc pas pressé, les pieds devant, d’aller retrouver cette indigne humanité là, qui n’en a que le titre qui, vue sa pitoyable et immobile prestation, n’extrait aucune lacrymale empathie de ma part tandis qu’elle s’enorgueillit, sans m’en convaincre, de la pseudo supériorité de sa thaumaturgie profane et religieuse.
Alors chère belle et sadique bergère, même si je ne serai pas doux come un agneau quand tu m’emporteras, que tout au long du chemin je t’invectivai de calamiteuses grossièretés, rentres des blancs moutons tant que tu veux, ne lâches pas aujourd’hui tes clébards à mes trousses, oublies-moi encore un peu mouton noir que j’essaie d’être, passes ton chemin, laisses-moi avec mes paradoxes profiter du printemps, des beautés du Monde et des gens tant qu’il en reste encore.
Daniel BOT