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Billet de blog 1 juillet 2017

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RINGARDISER OU REFLEXIONS SUR L ENTRETIEN AVEC AGNES VANDERVELD-ROUGALE

L'entretien avec Agnès Vandevelde-Rougale, l'auteure du livre La Novlangue managériale, avec le journaliste de Médiapart Manuel Jardinaud, touche, selon nous au vif de ce que nous voyons se jouer à nouveaux frais au coeur du politique : la langue

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Tout l'entretien et les réponses développées d'Agnès Vandevelde-Rougale, qui s'est penchée de manière précise sur ce qu'elle nomme Novlangue managériale, nous ramène à ce terme : ringardiser, comme l'un des noms aujourd'hui dans certains cas d'une des formes du déracinement, terme que nous empruntons à la philosophe Simone Weil, et dans d'autres, c'est selon,  comme équivalent à l'expression "changement de paradigme".
Mais au fond, "déracinement" et "changement de paradigme" pourraient bien se trouver une forte convergence, du fait de pointer, une déliaison, une déconnexion, un détricotage, une disjonction.


La définition du dictionnaire de ringard, ( Trésor de la langue française, Littré - qui ne donne qu'une définition partielle- , Le petit Larousse - ed 2003) est claire et constante.
C'est une série qui inclut les qualifications : incapable, médiocre vieilli, désuet et sa création nous est donnée pour s'être faite en 1969,  nommant un " comédien médiocre", " une personne qui n'est pas dans le vent", "comédien passé de mode", ou un bon à rien, quelqu'un de dépassé, quelqu'un ou quelque chose de démodé...
Ceci si on laisse de côté la seconde définition du mot  : grand tisonnier utilisé pour activer la combustion sur une grille ou pour remuer la matière en traitement dans certains fours.

Les termes de ringardiser, ringard,  font sourire, génèrent comme de la dérision à l'égard celui qui se trouve en position d'être qualifié de la sorte. D'autre part, comme nous venons de le voir, l'histoire du mot est récente, et ne donne pas l'impression d'avoir vocation à devenir un concept. C'est bien de ce fait qu'il peut interroger. Entre le mot qui semble venir de la superficialité de la mode, de la vogue, et ses conséquences radicales, cela n'est il pas propre à engendrer quelque perplexité et des questions ?

Or la provenance du milieu du théâtre du terme de ringard peut nous rappeler qu'il s'agit d'interprétation. S'agissant de la Novlangue qui a commencé sa lente pénétration dans le monde de l'entreprise dans les années 80/9, puis s'est diffusée dans la société ( voyons le succès damné du mot "gérer", qui a été di"géré" à la puissance x), ceci n'est pas anodin.

Le mot, le signifiant, comme l'appelait Lacan, c'est beaucoup de choses, un prisme, et plus qu'une façon de nommer, c'est une interprétation. En employant tel mot, j'interprète la chose, la situation, ou l'être auquel j'ai à faire. Je l'interprète avec le mot que j'ai librement choisi. J'en ai l'initiative, et c'est un mot qui m'engage, qui m'implique. Il m'est propre pour cette confrontation donnée dans ce temps et dans ce lieux donnés.

Dans le même temps,  des mots et des expressions automatiques, où cette interprétation n'est pas active, perforent la langue, .

Par exemple, l'expression (que je déteste) " pas de soucis". Qui semble être prononcée pour se débarrasser de la question de l'autre.

Les expressions automatiques et la novlangue convergent sur ce point : celui qui la dit ne souhaite pas s'impliquer dans une interprétation personnelle de la situation, c'est à dire ici par des mots à lui, il préfère les mots du groupe immédiat dans lequel il évolue, ou ceux de son époque, ou de son milieu ou un mixte de tous etc.

Ceci emporte un autre point : en utilisant ces mots, je me débarrasse de l'affect, dans le même temps où ce mot ne m'inclut pas moins dans une communauté ce discours, un lien social convenu.

C'est là où la Novlangue trouve sa fonction, quand nous entendons les employés d'un même collectif de travail débiter le même discours. Ils interprètent ainsi la situation selon le mode convenu d'une part, d'autre part aussi pour ne pas impliquer leurs affects. Car l'implication de l'affect requiert du temps, du temps donné à l'autre et donné à soi, et aussi de faire sa place à des résonances subjectives imprévues.  En ce sens ces personnes sont bien plus employées par la langue, qu'elles ne l'utilisent.

Mais en misant sur une désimplication de l'affect, ce qui est largement répandu en lieu et au temps aujourd'hui dans le monde du travail, c'est " l'oubli de la subjectivité" qui nous gagne, selon l'expression de Lacan dans ses Ecrits. Cela rejoint la question du déracinement moderne que Simone Weil décrit dés 1937, sous tous ses modes, sauf à partir de la la question de la novlangue puisqu'elle elle n'était pas posée à cette époque.

Cet oubli de la subjectivité, le consentement à cet oubli, est aujourd'hui - mais pas exclusivement du fait de langue managériale imposée par la terreur conformiste  qui se dégage du collectif- le nucleus de la souffrance dans ce milieu.

Si nous revenons au contexte  décrit par Agnès Vandevelde-Rougale, la ringardisation par la langue prend une autre figure, et avec d'autres conséquences comme le changement de paradigme.

Nous avons à faire aujourd'hui au paradigme managérial importé dans le monde politique. C'est d'ailleurs une des raisons ( pas la seule, car il faut compter avec le désir d'un) qui fait que les politiques d'autrefois, vieux jeux, "ringards", ne comprennent rien à ce qui se passe sous leurs yeux, comme nous avons pu le voir et l'entendre dans quelques émissions auxquelles participaient le futur président de la république.  

Le paradigme managérial avec sa langue, ringardise, de facto,  le paradigme politique, celui qui avait cours il y a seulement quelques mois. Le monde politique, en un éclair, a shifté. Car la langue managériale est une langue qui va vite, nomme ce qu'il y a à nommer dans l'instant ( essentiellement les relations fonctionnelles et utilitaristes), et efface toute particularité, lesquelles ne feraient que détourner l'attention sur l'inessentiel, selon cette idéologie.

Aussi, imaginons un instant ce qui pourrait se passer dans un futur proche, à l'Assemblée Nationale, pour les deux tribuns de l'ancien monde

D'abord l'immunité parlementaire de MLP pourrait fort bien être levée du fait des affaires en cours,  et que les conséquences d'effacement en soient majeures pour le groupe efFethaiNe.

Ensuite que JLM  et son groupe des "Un sous mis " (çà c'est pour le spécialiste de la fiche de paie!) soient ringardisés, non pas du fait de leurs idées, de leur projet, de leurs valeurs ( encore que) mais par cette Novlangue qui sera celle de la société civile en place dans l'hémisphère, et dont la propriété est d'être abrasive quant aux autres discours, tel que cela s'est déjà amplement démontré dans notre quotidien.

Employée à grande échelle, il est plus que probable que certains ne se sentirons plus chez eux dans ce bain de langage. Une ringardisation qui, comme partout ailleurs où elle s'est produite, de ce fait, vaudra inaudibilité, quand il s'agira de se faire entendre avec des mots dés lors périmés.

Un exemple récent : ce qui est appelé par JLM rebellion  ( ne pas aller au congrès de Versailles) est appelé par LREM : coup de menton ( encore que ce mot ne soit pas de la langue manégériale)

Alors, comme en psychiatrie avec le DSM ( Diagnostic Statistical Manual) qui a reconfiguré toute la carte symptomatique en changeant la langue, comme par exemple le symptôme en trouble, et qui a si bien séduit les psychiatres qui maintenant s'en trouvent en voie de disparition, assistera t on bientôt à son équivalent en politique ? Peut être l'exemple pris ici nous indiquerait que c'est en sens inverse que cela pourrait prévaloir. Le trouble ( à l'ordre public) sera mis a compte du symptôme de quelques uns. La négativité fera symptôme dans l'océan de bienveillance d'un discours désormais atone perfusé d'anglicismes.

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