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Billet de blog 5 avril 2016

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TSUNAMI ALGORITHMIQUE ET VIE DESANIMEE

Le livre d'Eric Sadin, La vie algorithmique, au développement millimétré, est le contrepoint nécessaire et incontournable à celui de Gilles Babinet : Big Data, penser l’homme et le monde autrement – voir un de nos billets précédents. Il en est le révélateur au sens photographique. Il nous fait mesurer l'angle aveugle que porte avec lui l’enthousiasme pour les nouvelles technologies.

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C'est un livre pénétrant que celui d'Eric Sadin. D'une ample et transversale information ajustée à son objet, d'une précision langagière millimétrique, épistémologiquement assuré autant que fondé dans ses conclusions sur la faillite des politiques. On ne peut résumer l'ouvrage dont la lecture est par ailleurs un plaisir, tant par la langue que par la justesse de la perspective qu'il profile pour les prochaines années à venir. Les premières pages de l'ouverture nous en font sentir la tonalité : l'asphyxie. Celle du manque de manque qui suscite l'angoisse. Angustiae ! De l'air, vite de l'air!

Nous ne commenterons pas l'ouvrage car ce serait le dénaturer par la paraphrase. On nous montre comment depuis le passé, dans le présent, puis le futur, la technologie digitale, numérique, déploie implacablement sa doublure en langage binaire-  notre base 2 en mathématiques- défaisant inexorablement notre rapport au temps et à l'espace, compressés, emboutis dans une immédiateté où le présent du futur ( Eric Sadin cite ici St Augustin) dévore, supplante l'a-venir du futur. Le continuum incessamment chiffré, codifié escamotant jusqu'aux interstices. Ce faisant, nous voilà bientôt étrangers à nous mêmes, dans cette délégation massive à des serveurs, automates, et robots externalisés. Dans la relation instrumentale à l'autre, dans la visée exclusivement utilitariste, voilà le symbolique qui progressivement s'abolit, et dont le sujet se retrouve dessaisi.

Voici la définition bienvenue du symbole donnée par Wikipédia "Le mot « symbole » est issu du grec ancien sumbolon (σύμβολον), qui dérive du verbe sumbalein (symballein) (de syn-, avec, et -ballein, jeter) signifiant « mettre ensemble », « joindre », « comparer », « échanger », « se rencontrer », « expliquer ».

En Grèce, un symbole était au sens propre et originel un tesson de poterie cassé en deux morceaux et partagé entre deux contractants. Pour liquider le contrat, il fallait faire la preuve de sa qualité de contractant (ou d'ayant droit) en rapprochant les deux morceaux qui devaient s'emboîter parfaitement. Le sumbolon était constitué des deux morceaux d'un objet brisé, de sorte que leur réunion, par un assemblage parfait, constituait une preuve de leur origine commune et donc un signe de reconnaissance très sûr. Le symbole est aussi un mot de passe."

 Il y a dans cette définition, tout à la fois l'histoire du symbole, l'histoire du mot symbole, son analyse, et son mathème en encre sympathique : 1/0, qui n'a cessé d'être l'appui du psychanalyste Jacques Lacan. Si ce mathème exhibe le symbole qui représente l'objet absent, l'énergie, la vitalité du manque de cette absence s'y dérobe nécessairement. Ce manque d'objet et ce symbole qui peuvent être approchés au plus juste par le langage et sa structure différentielle. L'expression d'Eric Sadin : post-symbolique (p64) veut ainsi désigner ce processus à l'oeuvre dans le "tsunami numérique", formule que nous reprenons de Jacques Alain Miller, qui est celui d'une désactivation, d'une désanimation, d'une abolition du symbolique, de sa désagrégation. Rien n'en n'est pour autant assuré. Car le langage et sa structure en garde l'inscription mémorable dont chaque sujet, s'il le désire, pourra selon nous s'en réapproprier la relation. Cependant il n'en faut pas moins garder, il est vrai,  un pessimisme salutaire. La pulsion de mort est toujours sûre...Quand, comment, où, dans cette tunique de Nessus, surgira le manque qui comprend tant de déterminants essentiels au désir, cet ailleurs qui se fait sentir dans le  " désir, l'ennui, la claustration, la révolte, la prière, la veille", dans cette série donnée par Lacan dans ses Ecrits. Ajoutons y le terme générique d'attente, puis celui espoir, d'espérance....Ce sont autant de déterminants de la subjectivité en mouvement, en respiration. L'attente, par exemple, n'est-elle pas le ressort de la recherche ? Attente d'où se catapulte le trans-fert sur un objet de désir, ou d'amour, tout comme sur un objet de savoir. Sans trans-fert préalable sur un savoir à venir, ce dernier n'a nulle chance de se déposer dans la mémoire, de sy inscrire, d'être subjectivé. La mémoire, voilà un autre équipage subjectif essentiel. Si le savoir à chercher est soustrait, confisqué, si s'évapore la question , et que ne demeurent plus que le savoir déjà trouvé, que des réponses au bout d'un clic, alors plus de mémorisation, plus de mémoire. Le trans-fert, est un saut par dessus le manque de savoir. Jacques Alain Miller en parle comme d'un outil épistomogique en psychanalyse; la demande d'amour est un autre saut par dessus, la confiance en l'autre aussi bien est un autre saut par dessus. Le trans de transfert est essentiel. La durée du manque détermine l'inscription mémoriale subjective. L'annulation du manque à l'oeuvre dans l'action des automates numériques nous confisque déjà cet atout. Tout comme la connection permanente nous masque la déliaison à l'autre. S'il y a bien fusion, confusion,  du symbolique dans cet arasement binaire inarrétable, c'est qu'il fait disparaître les différences : celle du mot et de l'image, celle de l'image et de la chose représentée, celle du discours lui même qui devient machinique, informé par les multiples protocoles numériques ou humains. Mais ce symbolique,  ne l'avons nous pas toujours, pour qui le veut, sous la main ? Que deviendra aussi l'intelligence ? Celle qui prend sa source dans l'induction, l'inférence, quand sera soufflée l'énergie désirante ? Le symbolique, son désagègrement, son abrasion, c'est dans l'annulation de la différence qu'il se fait sentir, différence entre les choses, différence d'avec les autres, différence du réel et du virtuel, du virtuel et de l'imaginaire, entre le présent et le futur, entre la présence et l'absence, entre le don et l'objet. La différence comme telle, -dif-ferere- est ce qui fonde le symbolique, et qui fait pièce à l'indifférence dont la diffusion gagne.

Illustration 1
lavie

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