Oui, le stress, érigé en concept, utilisé à tout va, faisant bonheur et fortune des coaches, des psychosociologues, et tutti quanti !, instaure une illusion de perspective à nulle autre pareille. Déjà dans la définition elle-même telle que la donne le Trésor de la langue française consultable en ligne, soit la signification désignant à la fois « l’agression subie par l’organisme et la réaction de ce dernier », non seulement floute sa précision angulaire, mais introduit un terme à la limite du champ de la morale : l’agression. La traduction française de ce terme, stress, provenant de la langue anglaise, est autrement plus intéressante « force, contrainte, effort, tension », car plus explicite. Le terme de « pression » que nous y ajouterons ne détonera pas dans cette série sémantique. D’allure mécanique, repoussant toute connotation qui ferait place au pathétique, s’il semble avoir l’inconvénient d’être vague, il faut considérer que c’est pourtant là l’une de ses qualités : plusieurs termes vont pouvoir le préciser. Ce sera notre premier point. Le second point, c’est que sa provenance conceptuelle nous fournit sa vérité. C’est dans le cadre de l’université de Montréal, qu’en 1936, à partir de ses expériences sur le rat, que qu'Hans Selve en viendra à concevoir le stress, syndrome général d’adaptation, soit le stress. Sa provenance dit sa vérité, car la pression se passe de la parole, du langage. Dira-t-on qu’elle se passe du discours ? C’est à voir, pour nous pour qui le terme de discours se charge de l’élaboration qu’en a faite Jacques Lacan dans au moins trois de ses séminaires : D’un Autre à l’autre, L’envers de la psychanalyse, et D’un discours qui ne serait pas du semblant. Sans compter quelques autres entretiens et conférences comme Radiophonie. Nous laisserons ce point de côté. La pression se passe donc de la parole et du langage, même quand elle les utilise, c’est-à-dire quand les instrumentalise. La communication n’est alors plus d’argumentation ou de rhétorique qui véhicule avec elle, même minimale, une certaine empathie, sympathique ou antipathique, entre locuteurs, mais de pression a-pathique dont la parole qu’elle utilise n’est qu’habillage. Car son essentialité animale demeure perceptible. C’est le rat, qui donne là, en premier abord, notre vérité, lorsque nous nous trouvons dans une telle situation.
Ce terme de pression est donc qualitativement remarquable, chargé qu’il est d’un grand nombre de déterminations possibles : pression par le nombre quand on est dans une foule, sensible tout en étant impalpable ; pression par injonction, verbale donc ; pression par intimation, transfusée par la voix ou le regard ; pression économique, que chacun a en tête aujourd’hui quand il travaille, pression sonore pour celui travaille en open space, pression par profusion des mails reçus, pression par simplement organisation de l’espace pour celui qui est mis au placard ; pression par harcèlement sexuel ; pression publicitaire ; pression sentimentale; pression par agressivité; par violence physique etc.
Ici nous en revenons à notre propos, à savoir la foule dont l’agglomération, l'agrégation, est cohérée par la culture d’entreprise. Voici l’extrait du journal le monde à propos de ce qui est aujourd’hui « l’affaire Volskwagen ». (http://www.lemonde.fr/economie/article/2015/10/05/affaire-volkswagen-la-tricherie-etait-systematique_4782532_3234.html)
Cet événement démontre, à notre sens, que la culture d’entreprise est véritablement, essentiellement, en son fond, une culture de la pression :
« Beaucoup de manageurs savaient. C’est une des premières conclusions de l’enquête interne menée chez Volkswagen, qui doit faire la lumière sur le scandale de la manipulation des moteurs diesel du groupe automobile allemand, actuellement aux prises avec la plus grave crise de son histoire. Selon l’édition dominicale du quotidien Frankfurter Allgemeine Zeitung, qui cite des sources proches du conseil de surveillance, « la thèse selon laquelle ce ne serait l’œuvre que de quelques développeurs malfaiteurs n’est pas tenable ». Le constructeur automobile aurait « trompé les clients et les autorités de façon systématique ».
Selon le journal, le cercle des suspects et des personnes au courant de la fraude est aujourd’hui si large que le conseil de surveillance s’interroge sur la nécessité de faire appel etc. ». Ici la pression de la culture d’entreprise intime à chacun, d’une part de participer, d’autre part de taire. La peur instaurée par la culture d’entreprise de Volkswagen dont faisait état le précédent numéro du monde, relève de la pression par intimation dont une part de l’efficacité pour ainsi dire, de la force, provient de la conjoncture économique à la teinte néo-libérale. Mais aussi d’une des propriétés de la foule qu’a fort bien conceptualisée, selon nous, Jean Pierre Dupuy dans son ouvrage : Pour un catastrophisme éclairé (Paris, Seuil, Coll. Points, 2004, p.66) : « Plus les relations interindividuelles sont rigides, plus le comportement de la totalité apparaîtra aux éléments individuels qui la composent comme dotée d’une dynamique propre qui échappe à leur maîtrise ». C’est un enrichissement, du point de vue de la foule, du schéma de Freud qui apparaît dans « Psychologie des Foules et analyse du moi », que Jacques Lacan reprend dans son Séminaire La relation d’objet (p.177), tout comme dans Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse (p.245). Mais sans eux, on peine, cette loi de JP Dupuy à l’aspect mathématique, à la rapporter à la subjectivité, aux subjectivités qu’elle implique cependant. Cette rigidité, cette inflexibilité dont parle Jean Pierre Dupuy, n’est telle que parce que chacun à insensiblement troqué son idéal du moi par l’idéal de la foule, il s’est défait du sien pour revêtir celui que lui offre par touches successives, répétées, martelés ou susurrées, la communication interne et externe de l’entreprise, hydre qui garde l’entrée de cet antre que les médias ont aujourd’hui beaucoup de mal à franchir. La pression est toujours pression d’un calcul, quand le logos est lui un accompagnant de la subjectivité. Etre sous pression, c’est immanquablement être l’objet d’une pression, quand d’une parole, on peut être le sujet. Ce qui est loin d’être toujours acquis pour ce que Lacan nommait le disque-ourcourant.
[1] Cette définition est donnée à partir du livre de David Frank Allen, Critique de la raison psychiatrique, (ED Toulouse, mai 1999,note 133 p.55)