Le jeune homme en costume cravate classique, et la jeune femme en robe de mariée tout aussi classique qui l’accompagne, se retournent, se campent devant le viseur de notre appareil photo-caméra. Ils sont tout en bas des marches, seuls. Nous sommes en haut, l’œil rivé derrière la focale. Et, oh ! Miracle ! Ils gravissent la volée de marches à trois paliers, une à une, de la basilique de San Francesco all’ Immacolata, comme si s’ils ne le faisaient rien que pour nous. Ce n’est là qu’illusion de perspective, qu’ils n’ont pas réalisée, du lieu où ils sont. Et qui fonctionne durant quelques minutes. C’est au moins le 5ème mariage auquel nous assistons de manière impromptue depuis que nous sommes en Sicile. Les premiers, ce fut dans les églises de Trapani. Et puis maintenant, ici, dans la ville super baroque de Noto. Nous avions jusque-là consulté nos mails, et constaté d’un air narquois que le « plan com » de l’Ecole de Cause Freudienne fonctionnait à plein régime, avalanche incessante d’annonces des évènements et des journées préparatoires aux 45ème journées qui vont se dérouler sous le titre Faire couple-Liaisons inconscientes.
Nous sommes en vacances, en voyage en Sicile, et aurons bien le temps d’en prendre connaissance, nous sommes nous dit. Mais voilà ! Ces mariages en série ne nous laissent aucun répit, qui nous ramènent immanquablement -et ironiquement !- à ce « Faire couple ». Chaque événement se cherche une originalité. Voilà des mariés qui arrivent en Rolls Royce, d’autres choisissent de faire réaliser la série des photos depuis un drone, d’autres encore de placer l’originalité dans le lieu choisi, comme un musée. En voici d’autres qui traversent la ville, qui est leur ville natale, à pied, sous les vivats de leurs proches et de leurs amis pour se rendre à l’église. Cela tourne à l’industrie matrimoniale ! Faire couple, mais, ma parole, on ne semble ne faire que cela en Sicile ! Il n’en est rien, bien sûr. Il y a dans cette exposition, cette exhibition, cette démonstration publique, où les mariés sont comme détourés, isolés du paysage, une velléité d’absolu. Faire couple, ici c’est en quelque sorte abolir, passé, présent, futur. Les fondre dans une éternité ou s’éteint toute finitude. Le site de rencontre sur internet n’a pas manqué d’assurer sa communication sur l’équivoque : mythic ! Le titre des journées « Faire couple » se prolonge en « liaisons inconscientes ». Certes, copula d’où vient notre mot couple, signifie liaison. Mais dans le cliché des mariés qui donnent en spectacle leur mutuelle attraction via le regard, les yeux dans les yeux, comme dans le titre « Faire couple », quelques objections sont présentes, en puissance, virtuelles, ou réelles déjà. Qui fait couple ? L’homme avec la femme ? Le père avec la femme ? La mère avec l’homme ? Le couple lui-même et le regard de l’Autre ? La femme avec le garçon dans l’homme ? La fille et le père dans l’homme ? Et nous n’avons convoqué ni les beaux-parents, ni les grands-parents, Lacan, dans ses Ecrits à la fin des années 50, a d’abord convoqué un quatuor qui débordait le couple, croisant ainsi l’objet de jouissance et l’Autre de l’amour. Evidemment, le problème est immédiat. Comment faire couple à quatre ? Du couple fusionné, pour ne pas dire en fusion, nous passons au couple divisé. Couple de divisons, de dédoublements. Car il y a les couples insoupçonnés: un homme avec lui même comme père; une femme avec elle même comme mère. Et puis il y a les couples improbables. Une prostituée et son client régulier????