TripAdvisor vous prend aux tripes : vive votre moi !
Vous vous inscrivez d’abord sur le site de TripAdvisor. Enfin un site internet, vous dites-vous, qui prend en compte rapidement et sans frais votre avis sur la prestation de tel restaurant, de tel hôtel, les offres touristiques et culturelles de telle ville, et ce dans le monde entier. Tout se poursuit alors lorsque vous recevez le magique : « Félicitations, votre avis a été publié », que vous recevez dans votre boîte mail à chacun de votre avis posté - minimum 100 caractères, maximum quelques 400 caractères. Vous le compléterez de quelques réponses à des questions par oui, non, je ne sais pas. Simplement, rapidement, vous faites ainsi connaître au monde entier votre satisfaction ou votre déception. Dans le même temps, une satisfaction supplémentaire s’y ajoute : vous faites partie d’un forum. Ce sont les nouvelles foules d’aujourd’hui. Vous en connaissez sûrement d’autres dont la similitude ne vous échappera pas : Facebook, Booking.com, RB&B etc. Vous avez bredouillé quelques mots sur votre satisfaction de consommateur, ou votre déception, et vous voilà « publié », comme on vous l’écrit. La jouissance d’être agrégé à d’autres, d’être en correspondance sur un même propos, via un de ces sites internet capteur, dont il vous semble qu’il vous représente, et plus, qu’il vous donne la parole ! Ce sont ainsi plusieurs centaines, voire plusieurs milliers d’avis que vous découvrez lorsque vous cliquez par exemple sur le nom d’un restaurant via l’enseigne de TripAvisor. En écho, lorsque vous vous rendez dans l’un de ces commerces, vous ne manquerez pas, s’il répond aux réquisits qualitatifs, de vous trouver nez à nez avec l’affiche TripAdvisor toute occupée par le logo.
Démocratie de la jouissance.
La satisfaction première, celle du consommateur vis-à-vis de la prestation, est bien sûr nécessaire, mais pas suffisante. Car c’est avec la seconde que se décapite le capitalisme de papa. Déjà nous avons changé de modèle capitalistique. Car c’est la concentration de cette jouissance du côté des consommateurs agglomérés en foule, son intégration, sa condensation et sa transformation en données chiffrées mise à disposition de la marque qui est à l’initiative du site internet et qui va disposer des moyens financiers, qui bouleverse la donne. Une pression puissante vient de naître, dont le site agrégateur qui l’a imaginée et l’a faite naître s’empare. Il est quasiment explicite, que l’idéologie qui l’accompagne se targue de démocratie, pour justifier cette pression qu’il va s’agir de monétiser, de convertir en valeur.
C’est alors auprès du prestataire que la marque va s’en faire le représentant, en faisant valoir combien il le met en valeur en publiant les avis positifs sur sa prestation.
Nous avons discuté avec l’un d’eux, en charge d’un excellent lieu d’accueil B&B dans la dynamique ville d’Agrigente, en Sicile. Cette femme nous a dit avoir contacté TripAvisor pour que son lieu d’hébergement ne soit plus indexé, ce dont elle n’avait nul besoin. Ce fut une fin de non-recevoir. En revanche on lui demandait un abonnement annuel qu’elle s’est, bien entendu, refusé de souscrire.
Il y a en ce moment sur les divers écrans une intense campagne publicitaire qui se termine par « Réserver sur TripAdvisor », proférée par une voix que nous dirons aboyée, sans préjuger de l’efficacité de son message marketing.
Régénération de la pompe à Phynances.
Nous assistons à une passation des moyens financiers entrepreneuriaux et à un glissement de la plus-value vers d’autres bourses. La pompe à Phynances, comme l’appelle le roi Ubu, fonctionne maintenant pour d’autres. Qu’adviendra-t-il du capitalisme de papa ? Nul encore ne le sait. Nous assistons en direct à sa mutation, comme le rappelle Serge July dans son entretien accordé dans le dernier numéro de La cause du désir, N°80, publication de l’Ecole de la Cause Freudienne. La science sous sa forme technologique numérique est en train de confisquer aux grands groupes traditionnels, comme aux petites entreprises tels que les hôtels, les libraires, les éditeurs pour ne citer que ces commerces, ses clients, lesquels ne manquent pas de s’en détourner. Pour ces grands groupes, s’agira-t-il seulement de transposer sur internet leur mode de vente qui jusqu’à présent, passait par une présence matérialisée et incarnée ? Rien n’est pas moins sûr, car l’effet foule, tel que nous venons de le voir, engendré via la technologie virtuelle, ringardise absolument tout autre message marketing qui dans l’imaginaire du consommateur fonctionnait jusque-là comme intégrateur dans le monde des valeurs de l’entreprise vendeuse. Dans le monde virtuel, l’effet est aussi encore plus massif, car visualisable immédiatement en tout lieu et à tout moment, sans qu’il soit connecté à la vente d’un produit et donc en permanence suspecté de manipulation d’opinion. Vous vous exprimez librement et on ne vous demande rien !
Le site internet agrégateur fait valoir, vend une pression, positive ou négative, à celui qui fournit la prestation, pour en fin de compter dégager une marge à son profit. Dans le meilleur des cas, comme Booking.com, Amazon, il devient l’intermédiaire obligé. On peut arguer qu’on a là une nouvelle version du rapport : prix à l’unité /volume d’affaires apporté, et que ces sites fonctionnement à l’instar des courtiers, mais en ligne. Cela suffirait-il à comprendre ce qui semble une inexorable mutation ? Cette jouissance véhiculée par l’agrégation, la mise en foule, cette émulation qui se transmet par contagion, est en quelque sorte une nouvelle espèce de culture d’entreprise dont l’étonnement est qu’elle provienne par le versant du consommateur, se combinant ainsi à celle qui se diffuse au sein même de ces nouveaux groupes, dont elle se fait le prolongement. C’est aussi toute la communication traditionnelle d’une entreprise qui est fissurée. Le marketing du produit est pour ainsi dire soustrait au producteur pour être transféré, sans aucun frais, au consommateur, ce qui dans même temps déplace, fait glisser une marge de profit sur le tiers acteur qui a rendu possible cette opération. L’importance de cette mutation reste insondable aujourd’hui du fait que la technologie numérique se combine avec des créations d’automates et de robots divers – ce qu’est déjà internet- ainsi que la culture de l’objet connecté. On voit par exemple un début de transfert s’effectuer quand les groupes détenteurs de technologie crée leur propre prestation d’assurances. A suivre, donc.