Si vous voulez pouvoir disposer d’une variété de points de vue et d’angles de réflexion sur l’argent, alors les Actes du colloque du Collège des humanités qui s’est tenu à Montpellier les 21 et 22 septembre 2013 ne vous décevront pas. Economiste, historien, psychanalyste, professeur d’éthique financière, professeur de littérature, parmi lesquels le regretté Bernard Maris, assassiné lors de la tuerie de Charlie Hebdo, chacun nous livre une perspective pertinente sur l’argent. Quant à nous, après une première lecture, nous nous sommes de nouveau arrêté sur l’article de Bernard Maris, qui fait valoir que le crédit a précédé la monnaie matérielle, de sorte, dit-il « que la monnaie virtuelle précédait de fort longtemps la monnaie matérielle » (p.129). Le développement de Bernard Maris, sur le crédit, la dette, la culpabilité, et son usage du binaire virtuel/matériel jouxte note propre réflexion que nous ferons partir de ce fait que si l’argent est un symbole, c’est un symbole bien particulier. Définissons tout d’abord le symbole. Un mot par exemple, est symbole d’une chose. Sa matérialité sonore, écrite, présentifie la chose, qui elle peut être absente. Donnons-en un mathème général, sinon générique : S/O. Le zéro représentant ici la chose absente, et si ell est présente, en tous cas elle est disjointe du symbole qui la représente dans le lien à l’autre. Je note que le mot, s’il est symbole, n’est pourtant pas virtuel. La virtualité qui est la potentialité d’Aristote - quand par exemple il différencie l’énergie cinétique de l’énergie potentielle – n’est pas une propriété du symbole, quand ce symbole est un mot, un signifiant. L’argent, par contre, dans sa matérialité de papier, est un symbole d’une part qui représente, non pas une chose, un objet, mais toutes choses, tout objet, tout ce qui s’offre comme objet, y compris des humains, des organes, et d’autre part, il est virtuel. Il peut se réaliser dans un objet. Le signifiant, le mot, lui ne se réalise pas dans l’objet qu’il représente.
Cette virtualité de l’argent alliée à sa fonction de représentant de tous les objets qui s’échangent- et la quantité des objets qui rentrent dans les processus d’échange est infinie au gré de l’inventivité du marché- on peut en déduire que le zéro sous le S n’est pas de même nature, lorsque l’on considère un symbole comme le langage, ou lorsqu’il s’agit de l’argent. Nous en déduisons aussi que ce sont ces deux propriétés, la virtualité alliée à l’infinité de sa puissance de représentation qui dessinent un manque d’une nature spéciale. Spécial car il recèle cette énergie centripète, ou dit autrement négative, qui vient consonner avec la dette de chacun dont parle Bernard Maris. Certains s’y laissent captiver au point qu’aucune accumulation ne vient étancher pour eux cette dette. L’œil du cyclone de l’argent c’est le manque de toutes les marchandises qu’il représente, sa virtualité, et nous y ajouterons aujourd’hui sa volatilité et sa fluctuabilité dans les échanges. Ceux qui s’y laissent attraper, l’angoisse y aidant, s’enrichissent à vue d’œil, au-delà du besoin vital et de confort nécessaires. Ils sont ainsi aisément reconnaissables. Avec ce texte, Bernard Maris s’approche de Freud, et nous le dirons avec JA Miller qui commente aussi Heidegger : « Est-il abusif de faire valoir que le sentiment de culpabilité que Freud a isolé, son Schuldgefühl, tient au Schuldigsein, à l’être en dette qu’est tout sujet en tant qu’il parle » (Miller JA, Sur le Schuldigsein, La culpabilité dans la clinique psychanalytique), et continue-t-il « Ce n’est point là pour nous un endettement factice ou contingent. Au contraire, cette dette de naissance est si nécessaire, elle ne cesse pas de s’écrire ». Aussi en déduira-t-on que le plousiopathe est le siège d’une telle culpabilité, que jamais, non jamais, sa richesse ne pourra l’étancher. Richesse dont il ne lui est par ailleurs pas indifférent qu’elle soit mécaniquement dépouillement, ruine, déchéance, pour d’autres, dans cette rivalité qui néssairement l'anime.