L’humain roboïde est l'hypothèse que nous glissons ici sous le scénario de la série diffusée il y a quelque temps déjà par la chaîne de télévision Arte, mettant en scène des robots humanoïdes appelés HUBOTS. Le robot n'est il pas déjà notre "prochain" ? Ne sommes-nous pas, plus souvent qu’à notre tour, cet être à la langue impersonnelle, au discours déshabité, véhiculé par un amalgame de semblants, d’habitudes, de comportements stéréotypés, et d’automatismes ? Par contre-coup, n'est ce pas cela qui confère au robot cette humanité hyperréaliste ? La ressemblance physique, visuelle, spéculaire, n'étant que l’adjuvant propre à captiver le spectateur. Tel que nous le montre ce feuilleton, cette dévitalisation consubstancielle telle que le manifeste un certain état déshabité de l'humain, lui fait développer, en contrepoint, une demande d’amour hypertrophiée qui se transfère, par débordement, par déferlement, sur l'automate.
Le robot, dans son adresse et ses réponses à cet autre, présente une qualité, un atout essentiel, qui n’est pas, c'est peu de le dire, le propre de l’homme et de la femme en amour : la fiabilité. Le robot répond toujours présent, et de la manière dont on s’y attend, puisqu'il est programmé pour. C’est ce qui en fait, en la matière, le redoutable concurrent de l’homme dont le lien à l’autre semble toujours, en quelque manière, capricieux. A ce propos, cette scène du feuilleton nous sidère, lorsque l’enfant demande que ce soit le robot qui lui lise une histoire le soir avant de s’endormir, plutôt que sa mère, parce qu’elle est toujours pressée.
Cette série était diffusée après un documentaire sur la même chaîne, sur les entreprises dont l'activité est de concevoir et produire des robots pour tenir compagnie aux personnes âgées. Le stade des prototypes sont déjà dépassé et nous sommes en pleine phase d'industrialisation tant au japon qu'en occident. Vos petits enfants n’ont plus le temps d’être à vos côtés ? C’est votre ami le robot qui vous dira bonjour le matin, et vous apportera les croissants. Vous voulez que votre enfant apprenne telle matière à l’école ? Dans un proche avenir, c’est avec un robot qu'il jouera au jeu des questions-réponses. L’hypothèse du robot développée par le scénario de cette fiction met donc l’accent, en contraposition, sur l’inépuisable, inénarrable aussi, plasticité de la libido humaine, tant côté amour que côté pulsion, qui comme l’avait relevé Freud, est ouverte à de multiples avatars et substituts. Car bien sûr, vous pourrez faire l’amour avec votre robot, dont la séduction, l’érotisme, sinon la sensualité, seront sans équivalents. Mais ces automates, ne sont ils pas, tout compte fait, déjà là, parmi nous ? Voyez ces multiples perfectionnements et productions de la science, ces gadgets aussi, qui nous induisent à tirer notre jouissance de petits automatismes, qui eux n’ont même pas forme humaine. Nous extrayons ainsi un surplus non négligeable de plaisir, des théorèmes matérialisés dans la biologie, dans la technologie, et qui, si certains sont informatiques, du point de vue de la beauté de l’image corporelle, sont par contre tout à fait informes.
Du plus simple automatisme facilitateur au plus sophistiqué, nous tirons une confortable jouissance. Mais ce surplus abrite un manque dont nous ne soupçonnions ni l’existence, ni l’intensité avant que nous n'en fassions usage. C'est lui qui, si l'automatisme ou le gadget viennent à nous faire défaut, nous propulse, répétitivement, dans l’addiction de son comblement, addiction d’autant plus puissante que tout savoir à son propos nous échappe. Le manque devient insatiable et se fait passer pour celui du désir là où il est véritablement manque de la pulsion. Ce manque à jouir finit par aliéner notre être, jusqu'à l'altérer dans certains cas. Mais, il faut en convenir, l'inverse est aussi vraie. L'automatisme peut se révéler prothèse là où manque la vitalité, où le lien à l'autre est irrémédiablement dissous, où un désordre perturbe le sentiment de la vie. Il peut venir en place d'un délire, substituer la possibilité d'un rapport mécanique à l'impossibilité d'un rapport dialectique.
Au-delà de l’appropriation de l’image corporelle humaine qui toujours nous sidère il y a, chez le robot, une mimésis technologique, plus fondamentale. Moins visible, moins manifeste, il s'agit de sa construction analogique au circuit stimulus/réaction, qui est partie intégrante du fonctionnement physiologique de toute animalité, humain compris. Le robot n’agit en effet, qu’en réaction, immédiate ou différée, à notre sollicitation, quelle qu’en soit le mode. Si cette interaction n’est pas ici d’ordre nerveux, mais électronique et numérique, elle n’en donne pas moins le change. La confusion peut nous bluffer sans détour, qui est celle de la spontanéité et de l’automatique. De l’à-propos et du programmé. L’automatique peut, dans certaines de ses modalités, passer aisément pour du spontané. S’y ajoute le fondu enchaîné mental qui nous fait passer continûment de l’animé au vivant et du vivant à l’animé, superposition qui dans notre esprit devient confondante. Le robot se présente ainsi en tous points comme notre doublure. Déjà, nous en remettant toujours plus à lui, imaginairement nous le voyons nous déposséder : de notre vitalité, de notre image, de notre intelligence, de notre espace…Ce que met très bien en scène la fiction télévisée d’Arte. Que le robot ne soit ni auto-moteur, ni non plus autonome, n’est pas un inconvénient, et l’alternance animé/inanimé qui rythme son rapport à sa source extérieure d’énergie n’ébranle pas notre crédit et notre croyance à son endroit. Pourvu qu’il se présente à nous, la plupart du temps, comme un autre, sans trop d’étrangeté, dont la jouissance nous apparaît comme réglée et, de plus, à notre main. Ce qui, simultanément, libère en nous la dérégulation de la nôtre. Justement, ajoutons-y ce zeste d’étrangeté : quelque fixité dans le regard, un élément de rigidité dans le mouvement. Ce sont là points d’appel d’une certaine perplexité qui n’en engendrera que plus de sens. C’est ce que nous apprend le phénomène élémentaire de la psychose, tout comme le symptôme névrotique. D’autant plus serons-nous alors dans la disposition de croire qu’au-delà de ses énoncés programmés, le ROMAIN a un message à nous délivrer et que, pour ce faire, c’est à nous exclusivement qu’il a choisi de s’adresser. Aujourd'hui pour 1500 euros l'unité, votre(s) futur(s) compagnon (s) est (sont) prêts à vous faire la conversation.