Prenons deux points de départ et pour les distinguer appelons les : la « vraie parole » et le « discours vrai ». Tout les opposent. Cependant qu’ils sont indissolublement tressés. Le discours vrai, posons qu'il est dirigé vers le réel, ce qui vaut pour tel pour les locuteurs, ce réel que nous focalisons sur un objet, le réel objectalisé, ou encore qui pour nous vaut comme objectivé et qui peut aussi être du registre abstrait, une idée par exemple. Le discours vrai est porté par un vecteur, une trajectoire de désignation, que nous instituons vis à vis d’un objet. Il montre et est unidirectionnel. La vraie parole, elle, c'est autre chose. Elle va d’un sujet à l'autre, de nous vers notre interlocuteur du moment. Sa vérité est d'autant plus fondée, elle est d’autant plus vraie, qu’il n'est pas question d’adéquation à une chose. Elle évanouit le réel pour mieux exister. Cette communication d’un sujet à un autre les constitue en unité d'interlocution. Tous deux forment une unité de communication. Leur fonction permute en alternance, dans ce concours à la réalisation de la parole, et à sa véri-fication. Celle-ci n’a pas l’aspect unidirectionnel et le tempo linéaire du discours vrai qui vise l'objet, le désigne, le montre dans son indubitabilité. De plus dans son rapport à la vérité, une logique particulière est à l'oeuvre. Dans la vraie parole, c’est en inversant le message qu’il adresse à l’autre, que le sujet peut devenir identique à lui-même, pour ainsi dire.
« Tu es ma femme» dira un tel, qui instituera un " Je suis ton homme". Et ce sera là la véritable transformation subjective. Le locuteur se pare de cette qualité de ce qu'il est pour le partenaire. Pour que ce feed-back psychique ait lieu, et aussi que soit activée toute cette structure double du message et s'inversant d'une même trajectoire comme sur une bande de moebiüs , un troisième élément est nécessaire : la foi. Ce mot qu'on trouve encore dans des expressions comme « sa parole est digne de foi ». On peut certes penser à un équivalent, la confiance par exemple. Cependant, nous sentons bien tout de même que ce terme charrie une valeur affadie, moins tonique, que celui de foi. Combien même il s'est construit sur le même radical sémantique. Cette foi enveloppe les deux locuteurs et les lie, et vaut pour une troisième fonction qui est active dans la parole, celle de l'Autre.
Alors, est-ce qu’on est exclusivement ou dans la vraie parole ou dans le discours vrai ? L’un exclue t il l’autre et vice-versa ? Pas si simple.
D’abord si nous essayons de considérer un abord, du point de vue de l’autre, et vice-versa. Par exemple si l’on considère la vraie parole du point de vue du discours vrai. La vraie parole apparaît alors tout à la fois "menteuse" et "ambiguë". Car ce n'est qu'une promesse, un pari sur l'avenir, une spéculation sur le futur, qu'engage la vraie parole. Rien n’y est vraiment palpable, saisissable du point de vue du réel, dés lors elle peut être suspecte, une suspicion qui laisse poindre la possibilité du mensonge, du point de vue du discours vrai, qui lui a avant tout en ligne de mire une réalité, celle de l'objet, la réalité objective ou objectale. De plus elle est aussi ambiguë, c'est à dire qu'elle dédouble les êtres qu'elle implique dans son message, en y extrayant une qualité adjuvante qui est celle de la femme et du partenaire, selon l’exemple que nous avons choisi. Elle aliène l’être du sujet dans un être de symbole pour ainsi dire. Cet être devient ambigu : tout à la fois être et symbole. Il est ambigu, là où l'objet du discours vrai montre, en première instance, une unité phénoménologique, objectale qui semble ne pas pouvoir être négociée.
Maintenant si l’on considère le discours vrai, du point de vue de la vraie parole. Que veut-il signifier en désignant cet objet, interroge la vraie parole. Que veut il signifier de ou dans cet objet ? N’y a-t-il pas toujours un possible glissement vers l’erreur sur ce qu'on a vraiment voulu signifier ? Que faut il vraiment entendre dans cette désignation, a priori si transparente ? Sa matière, sa couleur, sa texture, sa forme, sa localisation ... Il y a toujours nécessité à préciser, affiner davantage pour résorber le malentendu, et donc à aligner les signes, cumuler les mots pour arriver à une précision qu'on voudrait maximale, mais qui laisse toujours un goût de trop peu, un ce n'est pas çà, un résidu, un reste, lorsqu'il s'agit de la participation par un autre à cette désignation, de sa saisie sans équivoque de ce qui est désigné.
En fait la parole, notre parole, semble être un discours intermédiaire de la vraie parole et du discours vrai. Elle se réalise dans leur amalgame. Elle les croise en permanence. Ce faisant elle se charge tout à la fois du mensonge, de l'ambiguïté, et de l'erreur. Cette charge, chacun de nous qui parlons l'endossons malgré nous. Et elle nous met en porte à faux dans notre rapport à l'autre, criblée qu'elle est d'éléments qui semblent ruiner l'assurance de la signification. Elle déstabilise notre effort pour amener l'autre à l'adhésion de la signification de la parole que nous lui communiquons. Elle fait de nous et malgré nous les hérauts de la mauvaise foi, en criblant notre message de zones d'incertitude, de flous. Ce discours intermédiaire a comme résultante en fait une inter-accusation entre discours vrai et vraie parole. L'un récusant l'autre. Une divergence interne, un dédoublement, une incompatibilité qui mine da facto la croyance, la crédibilité de la signification. C'est avec cela que nous avons à ruser, avec cette pulvérisation structurale du discours intermédiaire. Et nous voilà poussés à vouloir déjouer ce qui s'impose ainsi à nous, si nous voulons nous faire reconnaître de l'autre, et ne pas en être stigmatisé du point de vue de la confiance, laquelle demande de s'adosser à des éléments qu'elle puisse croire stables.
C’est là alors que nous activons le discours de la conviction, quitte à la surjouer quelquefois, pour recouvrir les conséquences désastreuses de ce discours intermédiaire miné de l'intérieur, car nous n'avons que lui à notre disposition. A l'instant même où nous enfourchons la conviction, la méconnaissance nappe l'interlocution, la nôtre en propre, et de facto, par voie transitive, celle de l'autre. Cette méconnaissance qui rendra invisible, et indolore, la mauvaise foi consubstancielle au discours intermédiaire qui fait de nous quoiqu'il en soit un coupable potentiel. C'est là notre viscérale mauvaise foi.
Arrivé à ce point de cette décomposition logique que nous souffle la page 353 des Ecrits de Jacques Lacan, que doit on conclure d'une parole authentique ? Nous sommes simplement au seuil de la question, ce qui n'est déjà pas si mal. Mais si réponse il y a, elle est sûrement détenue par chacun des nombreux analysants qui, dans le monde entier, ont choisi de se prêter à l'expérience psychanalytique.