Le volume de la collection Scilicet, paru aux éditions Navarin sous le titre Le corps parlant – Sur l’inconscient au XIXème siècle, a cette particularité de présenter un index de termes qui sont aussi les titres des travaux des psychanalystes qui les ont composés. Nous en donnerons ici quelques-uns, lesquels nous ont suggéré quelques réflexions sur l’image du corps. « Apprentissage sexuel » de Véronique Voruz, « Cosmétique » de Gabriela Basz, « Exhibition » de Jean Luc Monnier, « Image du corps-corps imaginaire » d’Alfredo Zenoni, « Masturbation » de Dario Galante, « Perversion » de Diana Campolongo, « Pornographie » de Paola Francesconi, « Sexe faible » de Stella Harrison, « Spectacle » d’Adriana Laion, et enfin « Voyeur » de Maria Marciani.
La lecture de ces textes nous renvoie à l’image, au regard, au corps, pour rester dans un angle large. Cela n’a pas été sans nous renvoyer à la lecture sur la question de la perversion et de l’objet regard quand Lacan les aborde, d’une part dans le Séminaire 1, Les écrits techniques de Freud, d’autre part, dans le Séminaire XI, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse. On note que s’il en fait une lecture différenciée, dans les deux cas, il revient pour ce qui concerne le regard et le voyeurisme sur ce qu’en écrit Jean Paul Sartre dans l’Etre et le Néant. L’objet réel, dans la situation où un sujet regarde, par le trou de la serrure, pour prendre reprendre cette image caricaturale, un autre à son insu, l’objet réel donc c’est celui qui regarde, objet qui surgit dans la conflagration de la honte lorsque quelque chose lui fait percevoir qu’il est lui-même vu, surpris comme regard. Il est l’objet tout entier ramassé, compacté, réduit, dans ce regard surpris par l’autre. « L’objet est ici regard – regard qui est le sujet, qui l’atteint, qui fait mouche dans le tir à la cible. Je n’ai qu’à vous rappeler ce que j’ai dit de l’analyse de Sartre. Si cette analyse fait surgir l’instance du regard, çà n’est pas au niveau de l’autre dont le regard surprend le sujet en train de voir par le trou de la serrure. C’est que l’autre le surprend, lui, le sujet, comme tout entier regard caché […]. Le regard est cet objet perdu, et soudain retrouvé, dans la conflagration de la honte, par l’introduction de la honte». (p.179). Du côté du sujet, ne pouvons-nous dessouder, dans cette situation, le statut d’objet qui est celui du sujet quand, dans cette situation, il court-circuite le symbolique, et la guise que prend ce statut quand il se concentre dans le regard ? La honte lui rappelant alors ce court-circuit, lorsqu’il se fait surprendre, par ce « regard imaginé au champ de l’Autre » (Séminaire XI, p.79). Nous en sommes à trois paramètres : le sujet comme objet incité à court-circuiter le symbolique, la guise qu’il prend comme objet regard, et le regard imaginé au champ de l’Autre. Ce qui nous intéresse, c’est l’ambiguïté qui peut courir via le curseur qui part de l’image du corps vu, à l’image du corps qui donne à voir, puis qui se donne à voir dans la séduction, jusqu’à l’image du corps qui se fait voir, qui se montre, dans sa version exhibitionniste. Occurrences chacune déclinables selon deux versions : réelle ou filmée, concernant le corps habillé d’une part, et nu d’autre part. Dans la trajectoire qui va de la monstration du corps, nu ou vêtu, à l’image suscitant le fantasme de sa disponibilité exclusive au sujet, la position de ce dernier est celle de l’objet, comme déchu du symbolique. Parce que de quelque façon, il ne peut avoir accès, ponctuellement, transitoirement, ou structuralement et permanentement au don symbolique, l’angoisse suscitée fait appel pour l’imagination d’un don imaginaire, à travers l’image du corps et l’imaginarition de sa disponibilité exclusive pour le sujet. C’est ce que nous sommes, peu ou prou, devant notre écran. Des corps, êtres parlants que nous voyons dans les lieux publics, et dont l’image irradie d’énergie et de vitalité -que nous pouvons appeler image réelle- ce n’est que leur image virtuelle qui nous a été rendue accessible lorsque sont apparus les téléviseurs diffusant l’image télévisuelle et cinématographique. L’image de ces corps, virtuelle, nous a été rendue plus disponible, plus accessible, aussi en se déplaçant jusque dans nos foyers par le trou de la serrure que constitue l’écran. Cette disponibilité imaginaire s’en trouve accentuée quand les acteurs, qu’ils soient de spots publicitaires, journalistes, comédiens, ou hommes politiques, se présentent à nous comme s’adressant à chacun, chaque spectacteur le percevant dans l’imaginaire comme exclusivement pour lui. L’image animée virtuelle, n’est déjà plus l’image réelle de l’autre réel que nous rencontrons dans la rue. Nous aussi sommes absents de l’écran du téléviseur, comme le voyeur est caché derrière la porte, absent de ce qu’il voit. Quand l’ordinateur connecté à la World Wide Web est apparu, puis s’est perfectionné, jusqu’à entrer dans nos poches sous la forme d’un téléphone mobile, puis aujourd’hui d’une montre ou de tout autre objet connecté, cet imaginaire a flambé à la mesure de l’accessibilité et de la disponibilité des images, du corps entre autre. Plus de timing imposé comme cela l’était à l’époque de l’image télévisuelle, mais une liberté totale dans l’ agenda tant dans la consommation d’images que dans leur production.
Agrandissement : Illustration 2