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Billet de blog 17 octobre 2015

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VIRTUEL, MON AMOUR !

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

C’est dommage, c’est dommage de ne pouvoir trouver dans le précieux Vocabulaire européen des philosophies édité sous la direction de la philosophe Barbara Cassin, le terme de virtuel. On ne s’en étonnera pourtant pas outre-mesure, car virtuel n’est pas un concept philosophique, pas plus d’ailleurs qu’il n’est un concept psychanalytique. Dans le lexique d’aujourd’hui, virtuel est en train d’être estompé, effacé par les termes de sa déclinaison technologique : numérique, digital. Peut-être du fait que, sous les coups de boutoir du marché mondial qui est en train de se transporter sur la scène internet, cette virtualité ruine le marché jusqu’ici matérialisé, localisé, et lui siphonne : levée de capitaux, bénéfices, profits, plus-value. Le long circuit entre virtuel et réel se trouve aboli, au bénéfice du virtuel qui devient lui-même le marché réel et le phagocyte.

Ce terme de virtuel, qui n’est donc pas un concept de la psychanalyse, n’en a pas moins son importance quand il s’agit de  considérer l’imaginaire du sujet, sans pour autant omettre le symbolique et le réel auxquels il s’articule nécessairement.  Ici nous ne sommes plus sur la scène du marché global, mais avec le sujet (c’est-à-dire nous comme sujet) dans sa solitude, une solitude toute relative, si on considère la richesse des éléments de sa subjectivité, et de son extimité pour reprendre ce concept de Jacques Lacan qu’il crée dans son séminaire L’éthique de la psychanalyse.

Pour ceux pour qui les Séminaires de Lacan constituent un fonds infini de réflexion pour leur pratique mais aussi dans leur vie, une bascule est sensible quand on considère le schéma optique que Lacan construit en 1960 dans son texte : « Remarques sur le rapport de Daniel Lagache » (p.674 des Ecrits) à partir de l’expérience du physicien Henri Bouasse, et son graphe qu’il construit dans son Séminaire, Le désir et son interprétation, et qui apparaît  abouti dans « Subversion du sujet et dialectique du désir » ( Ecrits). Dans le premier, la parole, le langage, le discours sont abordés depuis la perspective de l’imaginaire, tandis dans le second, c’est l’imaginaire qui est abordé sous l’angle de la structure de langage que déploie la parole dans le dispositif d’une psychanalyse.

C’est avec la construction de Lacan à partir modèle optique de Bouasse que l’imaginaire et le virtuel jouent leur partie. Le schéma optique de Bouasse à partir du montage construit avec un miroir concave, un bouquet de fleurs et un vase, auquel s’adjoint un miroir plan, permet de distinguer, objet réel, image réelle, image virtuelle. Le lecteur voudra bien se référer à la page 674 des Ecrits où est dessiné ce montage. Ces pages de Lacan ne cessent d’être commentées, comme par exemple dans le volume Scilicet intitulé : le corps parlant – sur l’inconscient au XXI siècle, publié par l’Association Mondiale de Psychanalyse (qui a fait l’objet d’un précédent billet). On mentionnera à ce propos deux textes (ce ne sont pas les seuls) : « Image spéculaire » de Monica Pelliza, et « Image virtuelle » d’Ennia Favret, qui sont à l’origine de l’écriture de ce billet.

Dans le schéma optique, l’imaginaire dans la parole est figurée par le miroir plan qui représente l’Autre, dans lequel se reflète l’image virtuelle qui est la seule à laquelle a accès le sujet. Cette image virtuelle représente l’imaginaire du sens, que Lacan a pu appeler au début de son enseignement le mur du langage (« Fonction et champ de la parole et du langage »). Ce langage dont Lacan pouvait alors parler d’une façon tout à fait contemporaine pour nous aujourd’hui -pensons au parler globish par exemple- «  A mesure que le langage devient plus fonctionnel, écrivait-il, il est rendu impropre à la parole… » (p.299).

Aujourd’hui l’image virtuelle amalgamée au langage trouve une matérialisation tout à fait inédite et singulière dans les différents logiciels de chat et d’échanges rapides où l’écrit est utilisé comme modalité de la parole. L’imaginaire virtuel de la parole trouve là un support roboratif.  En contrepoint, ces signifiants qui s’inscrivent numériquement subissent une désymbolisation. Une dégradation dans le symbolique telle que c’est frontalement, et non sans une certaine angoisse, que nous parviennent ces mots inscrits. Ils se présentent comme dépouillés de toute subjectivité, portés en quelque sorte par une voie impersonnelle. Et Ils font flamber l’imaginaire. Essayer donc par exemple de faire de l’humour par internet !

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