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Billet de blog 24 août 2015

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LA POLITIQUE DES MOTS

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Dans Ecrits, Lacan relève quelques uns des paradoxes de la relation du langage à la parole. " Le troisième paradoxe de la relation du langage à la parole, dit il, est celui du sujet qui perd son sens dans les objectivations du discours". A une époque, la nôtre, où l'accélération touche tout ce qui bouge, se meut, se déplace, y compris le discours, la langue, on saisit que c'est on ne peut plus actuel. Voici le terme de deuil. Deuil : XIIe s : de l'ancien français duel, issu du latin dol ( douleur) du verbe dolere ( souffrir, être affligé) qu'on entend encore dans les termes doléance, condoléances- et son dérivé : endeuiller - Le terme va aussi désigner les marques extérieures de la douleur, à la mort d'un proche. Voilà qu'au cours du temps, comme des plaques tectoniques, sens et signifiants bougent, se déforment. Deuil va ainsi endosser d'autres sens - Au XIX par exemple, faire le deuil d'une chose, renoncer à, admettre la perte de, comme dans Ste Beuve :" Je fais le deuil de ce qui me choque", ou autre sens " D'avance je portais le deuil de mon passé", écrit en 1958 Simone de Beauvoir dans Mémoires d'une jeune fille rangée.  Dans Flaubert où s'agit d'un sentiment de profonde tristesse liée à une cause occasionnelle : " Il me fait deuil de ne pas connaître ma bien-aimée petite-fille Berthe Bovary" écrit il dans Mme de Bovary. Ces écrivains valident dans leurs écrits les bougés de la langue dans son usage, ou encore la font eux mêmes bouger par leurs métaphores. Le signifiant deuil est toujours là mais le sens s'estompe, se pluralise dans un perpétuel fondu enchaîné mue par la kinésis infinie de la langue, son mouvement.

Le DR Kûbler Ross, psychiatre et psychologue, ancien professeur de médecine du comportement en Virginie, pouvait il prévoir que sa "Courbe des étapes du Deuil" connaîtrait un tel succès pour réapparaitre cosmétisée façon marketing, dans un document véritablement époustouflant publié par L'Agence Nationale d'Appui à la Performance des établissements de santé médico-sociaux intitulé : Piloter et manager les projets au sein du pôle ? Le deuil comme affect et comme affect pathologique, parallèlement à ces bougés de la langue intéresse depuis longtemps, psychologues, psychiatres, psychanalystes. Il y a quelques années, un cabinet de consultant a trouvé sensé d'importer cette courbe dans le discours managérial. On perd son emploi ! On change de métier ! C'est toujours une perte, pensent ces braves gens, chevauchant, surfant sur la mobilité, la plasticité du discours courant, mais toujours prêts à vendre leurs coûteux graphiques scientistes. Et évidemment il revient à la personne qui occupe tel ou tel emploi de faire le deuil de sa perte. Toute la question porte en effet sur le sens de cette perte. Car c'est le sujet lui même qui est perdu. Pour qui ouvrira le beau texte de Freud intitulé "Deuil et Mélancolie" prolongé par son texte ultérieur " Un stade dans le moi" il pourra y lire que le deuil "....en règle générale, n'est provoqué que par la perte réelle, la mort de l'objet", entendu comme la personne que l'on aimait à un titre ou à un autre. Le sujet est perdu, car en étant rejeté de son emploi, de sa fonction, il peut se trouver rejeté de son Idéal du moi, par humiliation, déception, et sombrer dans l'auto-dépréciation, la dévalorisation.

C'est cet Idéal-du moi que le choc, la sidération, qui se trouve au début de cette courbe vient percuter, emboutir, et quelquefois pulvériser, désintégrer, dans le sujet. Ce qui nous découvre la véritable fonction de ces vérités, ces graphes, ces courbes, qui est celle de substituer à la mélancolisation par déception, par humiliation, qu'engendrent les restructurations et les réorganisations des organismes publics et des sociétés privées, et dont la cause est du côté d l'idéologie managériale, y substituer donc l'idée qu'il s'agisse d'un deuil, auquel cas il revient à la personne de le traiter ou de le faire traiter. C'est pourquoi il semble pertinent, qu'en France, tel que le rapportait Le monde du 26 octobre 2012, les CHSCT ( Comités d'Hygiène et de Sécurité)  se soient mis à faire évoluer la jurisprudence pour agir contre la décision d'un plan social et le bloquer.

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