Galaxie immense, infinie et perpétuelle d’échanges, de publications, de diffusions, de communications, écrites, visuelles, sonores, que constitue le discours et son hyperactivité, frénésie à l’échelle planétaire et qui est l'un des paramètres de notre biotope, on peut dire que ce discours tend à perdre, de manière accélérée, toute gravité. Le verbe, le signe, l’événement, se délestent de leur gravité, de leur poids symbolique, un poids qui est entretemps devenu pesanteur. Le symbole ne devient-il pas en effet ringard avec sa solennité, sa stabilité lourdingue, inflexible, rigide, trans-temporelle, qui plombe la mémoire, l’histoire, et vous fait la loi et dont il faudrait se défaire pour le libre usage de sa jouissance ?
Ringard, un terme qui nous vient du spectacle : Vieil artiste du spectacle, oublié ou sans talent, à la recherche de petits rôles (Trésor de la Langue Française). Il se produit ainsi comme un usage maniaque du discours, que favorisent des objets technologiques ultra maniables. On peut dire ou écrire, beaucoup, très vite, très loin, longtemps, à tous moments, et n’importe quoi. Pourquoi s’en priver ? Mais dès lors, de son propre mouvement, le discours ne se charge-t-i pas en quelque sorte d’ironie ? L’interlocuteur y apparaît comme gommé, estompé. L’adresse du discours s’évapore, se dissout. L’Autre du symbole, l’Autre du pacte, se corrode sous l’effet de cet acide ironique. Soit une phrase que vous répétez très vite, en court-circuitant toute ponctuation et toute césure entre les mots. Que faites vous alors entendre, sinon votre propre jouissance de l'élocution qui se manifeste pour l'autre en jouissance sonore, sans aucun sens, et qui en effaçant l'interlocution, efface l'interlocuteur.
Même le fameux manuel psychiatrique, le DSM cinquième version, cette « psychiatrie pour les nuls » comme a pu l’appeler Patrick Landman dans son livre Business tristesse, n’a pas résisté à cette épidémie ironique. Mais aux USA, il, faut dire qu’on est au top pour çà ! Un top niveau qui rejoint souvent le K-niveau, pour ainsi dire. Et bien sûr, on voudrait qu’il en soit de même pour les corps, qu’ils se délestent de leur pesanteur dans la santé et le bien-être. Comme le discours, surtout qu'ils ne soient pas gagnés quelque érotisation. Là encore on appelle à la rescousse la science, qui multiplie les objets propres à capter la jouissance du corps qui s’avérerait encombrante, embarrassante, débordante, autant que déprimante du fait de n’avoir aucun sens, ni aucun prolongement dans l’utile. Les objets technologiques sont ici polyvalents, ce sont souvent les mêmes pour l'un et l'autre usage. Dans le même temps où ils passent au tamis la subjectivité véhiculée dans le discours, où ils en pompent l'épaisseur subjective, le suc subjectif, ils séduisent la jouissance du corps, lui offre l’apaisement de l’ anesthésie, la douceur du breuvage soporifique, l'allègement de la pensée et lévitatoire de l’hypnose. Et puis là, au moins, on sait comment on jouit, quoi nous fait jouir, et surtout, surtout, combien çà coûte !
Billet de blog 24 octobre 2015
GRAVITY
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