En effet, les réactions, à ou pour l'islamisme, ( nous renvoyons donc dos à dos, sur points, certains tenants de chacune des deux positions) auxquelles nous assistons sont celles de ceux :
- d'une part qui considèrent que cela se joue dans chaque espace national indépendamment les uns des autres,
- d'autre part qui pensent que c'est dans l'espace, "laïque"' que doit être trouvée la solution
- et aussi bien dans l'espace " démocratique"
Trois espaces qui d'une part apparaissent superposés et confondus, d'autre part qui, a tort, semblent aussi comme en miroir de trois autres qui leur sont contraposés.
Je n'use des raccourcis "laique" et "démocratique", que par commodité de démonstration, car ils sont selon moi depuis fort longtemps, par le capitalisme financier et technologique, vidés de leur substance authentique, et déficitaires quant à leur sens ( Voir l'excellent livre de Jacques Ellul sur ce point " La technique ou l'enjeu du siècle" et qui en donne les paramètres. On ne peut plus actuels avec la technologie du numérique).
Or, l'attribution à ces trois localisations, du devoir de réponse et de solution, fausse à notre avis, toute la logique de la question. Qui aboutit à ce que le problème apparaisse dans ces trois espaces : national, laïque, et démocratique, alors qu'il est réellement ouvert dans trois autres espaces de nature différente : transnational, religieux, politique autoritaire et/ou intolérance de l'opinion.
Le premier, transnational donc géographique, le second musulman, de nature spirituelle et mentale -et aujourd'hui idéologique et politique ( islamisme) -, le troisième, autoritaire (politique). Ceci, que cet autoritarisme relève de l'Etat ou de l'opinion de la foule musulmane qui peut inclure en elle-même cette intolérance.
Nous surlignons donc ce dernier point : dans la situation qui est celle que nous abordons , l'espace autoritaire peut être porté par un Etat qui, d'une manière ou d'une autre a combiné cette religion avec les textes de sa constitution, comme en Algérie par exemple où il faut être musulman sur trois générations pour être algérien ( voir l'entretien avec Brigitte Stora sur le site de La règle du jeu).
Dans d'autres cas, on pourra relever que c'est la seule pression de l'opinion de la foule qui peut vouloir faire valoir une certaine intransigeance de cette religion, ce qui aboutit au même résultat, quant au statut et à la situation des non-pratiquants et des non-croyants. Car cela suppose, au bout du compte, un laisser-faire ou une démission de l'Etat.
Donc premièrement nous posons en effet que la question du voile est une question dont l'ouverture et l'amplitude concernent d'abord l'espace mondial ou du moins transnational pris en masse, du fait des effets de vase communicant d'un pays à l'autre ( citons le financement des mosquées en Europe, mais il y a d'autres déterminants comme les déplacements et émigrations) , espace qui, dans un second temps, détermine de bout en bout les espaces nationaux, pris un par un. Et que par une illusion de perspective, ce sont ces Etats -Etat - ou/et population- qui se retrouvent devoir prendre, chacun isolément, ce problème en charge, alors qu'il provient d'ailleurs.
On l'a aussi vu, une caricature à Paris peut déchaîner des séismes dans d'autre parties du monde, avec effet boomerang d'une violence terroriste!
Secondement, cette question est ouverte par la communauté musulmane et l'intransigeance qu'elle peut véhiculer -cette dernière étant ou non par ailleurs doublée par l'état autoritaire du pays d'origine- C'est aussi par un autre effet de prestidigitation, qu'il semble revenir au pays laïque de nature démocratique qui accueille les prolongements de cette foule religieuse, de devoir produire sa résolution.
Avec ces considérations des trois espaces qui en masquent trois autres, accepter le port du voile en France par exemple ou dans tout autre pays laïque, et démocratique, cela supposerait que la communauté musulmane dans tous les pays et dans son ensemble ( quelque soit le courant , chiite ou sunnite ou autre, çà, ce n'est pas l'affaire du citoyen laïque puisqu'il n'en fait pas partie), communauté dont se fait responsable chaque personne musulmane, (quelle qu'elle soit et où qu'elle habite, dès lors qu'elle endosse cette religion), cela supposerait donc que dans ces pays musulmans ( pensons à L'Iran, mais aussi à l'Arabie Saoudite ou d'autres où c'est par pression de l'opinion que les femmes ont obligation), les femmes qui le souhaitent, puissent être libres de ne pas le porter.
Vous me direz que cela est impossible, irréaliste, utopique ! Mais revient il au laïque de prendre ainsi en charge le problème tel qu'il est ici posé, alors que ce n'est pas le sien ? Non, bien sûr. Bien que sa réalisation ne lui incombe pas, qu'est ce qui dès lors l'empêche d'en poser la condition ?
Le devoir de solution rejoint ainsi son vrai lieu d'origine, celui de la communauté musulmane et de son intransigeance, et possiblement le pays autoritaire, ou religieux de constitution, qui en appuie l'application.
Le problème regagne ainsi l'espace où il a pris naissance. Là où la question a été ouverte, doit aussi être trouvée la solution.
Fractionner, -aujourd'hui s'entend- la question en espaces géographiques étanches ouvre une abîme sans fin. Et vouloir trouver une solution dans les espaces laïques et démocratiques ( temporel) ouverts, dans l'idée qu'ils pourraient convenir pour l'espace religieux ( spirituel et intemporel), lui, intolérant et fermé, est une confusion. Il y a asymétrie des positions et déphasage du remède.
Faut il faire encore appel à un peu de fiction? Dans ce raisonnement, pour que le voile ( tout voile musulman, pas seulement le voile intégral) soit admis dans un pays comme la France ou tout autre, cela supposerait que chacun des pays obligeant par pression de loi ou par pression d'opinion les femmes à se voiler, revienne sur sa position. Ceci afin de rendre possible que les femmes qui le souhaitent puissent se déplacer dans l'espace publique sans être voilées. En fonction de la réponse, le voile serait alors, ou interdit, ou autorisé dans l'espace laïque et national du pays concerné qui en accueille les personnes originaires.
Cette logique pourrait aussi se décliner pays de provenance par pays de provenance. Il serait possible pour celles des femmes qui le souhaitent, de porter le voile, si et seulement si, dans le pays d'où elles proviennent, liberté est laissée aux femmes de ne pas le porter. Mais cela amènerait alors à préciser cette régle pour les femmes nées sur le sol national, mais au fond le problème ici ne se pose pas, puisque la liberté de culte ici est relative à la législation.
En poussant plus loin, et mieux, cette démarche, les communautés musulmanes locales elles-mêmes ne pourraient-elles en prendre l'initiative auprès des états d'obédience musulmane :
" Puisque le voile est autorisé dans le pays où nous vivons, nous vous demandons d'autoriser les femmes qui le souhaitent, à ne pas se voiler dans l'espace publique de votre pays" diraient-ils !
Ça serait top ! Religieux et ......démocratique ! Mais l'absurdité n'en saute que plus aux yeux, n'est-ce pas? Qui envisage, une seconde, aujourd'hui, islam et démocratie amalgamés, couplés ?
Si oui, Il revient aux croyants de cette religion de l'exprimer avec force si cela peut être le cas !
Pour continuer dans notre logique, Il suffirait même d'ailleurs de la simple formulation de cette demande, pour que la communauté musulmane de tel ou tel pays, par cette implication, se manifeste comme d'orientation démocratique. Vous voyez encore une fois l'oxymore ? Communauté musulmane et démocratie ...
Plus encore, le simple fait même de communiquer sur cette démarche, et donc de l'envisager, sans même d'ailleurs penser qu'elle puisse être mise en pratique, cela changerait déjà les données du problème dans l'opinion. Et pas seulement dans les pays laïques. Mais certainement aussi pour les croyants et pratiquants eux mêmes.
La religion offre plus de plasticité qu'on ne le pense, ceci en fonction de l'interprétation de ses textes fondateurs, et des pressions environnantes aussi bien, sans bien sûr céder sur son essence. Il n'est rien d'impossible dans le monde d'aujourd'hui où tout se déforme par négociation d'avec ce qui nous entoure, n'est-ce pas? (C'était déjà le cas dans le monde d'hier, mais les choses se faisaient avec plus de lenteur, offrant cette réalité de stabilité et fiabilité, aujourd'hui perdues). Les idées, les hommes, la morale, les organes, le corps, le sexe, le mensonge, la vérité, l'éthique. La religion elle même peut donc se présenter soit comme inflexible, soit comme flexible, dans le flux de l'histoire, l'absolu en tout n'existe pas plus là qu'ailleurs.
C'est donc selon nous une lecture transnationale, impliquant aussi la communauté musulmane dans son ensemble, qui déjouerait la logique délétère à laquelle nous assistons.
C'est aussi poser que celui qui se proclame " musulman", qui proclame son adhésion à une foule religieuse, a par là même consenti, sciemment ou non, à laisser en réserve certaines de ses particularités individuelles, du moins en ce qui concerne ces questions, et à se faire équivaloir à tout autre de la même foule, dans quelque partie du globe qu'il se trouve. D'où le fait que sa responsabilité soit, dans ce cas de figure, selon nous, engagée.
Confronté sur son sol à des religions intolérantes, l'espace accueillant, quand il se dit laïque et démocratique, est toujours, dans ces cas, perdant ( puisqu'il est plus libéral quand l'autre espace, mental et religieux qui interfère, est plus limité dans sa tolérance) et il subit un déficit de faveur dans l'opinion s'il s'écarte de cette position.
Tout comme il subit la manipulation, au profit et par celui qui y est accueilli, qui lui voit bien l'angle aveugle où il peut trouver toute latitude pour son action, percevant aussi bien du même pas la culpabilité qui surgit chez le "laïque démocrate" qui voit bousculer l'adéquation de ses idées et de ses actes. C'est ainsi que ce dernier se retrouve instrumenté ! ( Et alors, haro des croyants ou des pratiquants sur l'islamophobie!)
On pourrait imaginer cette logique avec de tout autre groupe engendrant une ségrégation ( car le groupe religieux, comme toute foule, est d'inclination ségrégative )
Ce qui complique encore le tableau et que nous n'abordons pas, c'est que la question que le voile manifeste en apparence, n'est certes pas celle qui est réellement posée, à savoir celle de l' injustice et de l'humiliation subies par ceux qui le portent. Mais à partir du moment où elle se transpose ainsi, elle s'altére d'elle même et se défigure aux yeux des autres , mais aussi pour les femmes qui le portent qui n'en savent plus la raison d'origine.
Aussi pour conclure, concevoir la place du port d'un signe religieux dans un espace publique national, impliquerait en somme qu'elle soit corrélée à la place donnée au non-port de ce même signes dans le pays d'appartenance ou le pays d'origine pour les personnes dont c'est le cas, voire même dans tous les pays concernés dans leur ensemble.
Car dans l'imaginaire de ces pratiquants, ne voit-on pas que c'est depuis ces lieux où l'intolérance est permise et a force de loi, que leur esprit peut trouver appui pour introduire, dans le pays où ils vivent, bénéficiant, là, de la législation laïque démocratique, une certaine pratique du port de ce signe.
Le pratiquant fait ainsi vibrer et transmet, certes au sein de son cercle de relations, et en toute licence et en toute légitimité et légalité, une certaine logique de l'intransigeance qui prévaut pour lui, mais avec possiblement cette idée que dès qu'il en aurait le loisir, il pourrait la manifester au grand jour et, pourquoi pas, si l'occasion s'y prête, l'imposer.
C'est une des raisons pour laquelle, à notre sens tout voile quel qu'il soit , est souvent un regard intolérable pour autrui. Car il porte avec lui cet implicite. Implicite qui n'en est pas moins réel et présent. Ainsi l'islam se transforme t-il en islamisme lequel, en passant, n'a plus rien à voir avec les brillants esprits qui ont réalisé il y a bien longtemps les traductions des philosophes grecs d'ailleurs pour le plus grand bénéfice de l'occident et de sa culture.
Lire aussi l'article de Jacques Alain Miller sur le site de La régle du jeu