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Billet de blog 27 septembre 2015

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DE L'ERE DES FOULES (2) ET DU TROMPE-L'OEIL

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Commençons par la fin de notre titre. Pourquoi trompe-l’œil ?

J’ai le titre sous les yeux, celui du journal Le monde, supplément Eco&Entreprise N°21987 daté du vendredi (septembre 2015 : « Volkswagen se cherche un nouveau patron et une nouvelle stratégie », sous-titre : «  Le président du directoire du constructeur allemand démissionné à la suite de l’affaire de ses moteurs diesel truqués ». Le canard enchaîné du 23 septembre titrait quant à lui : « Volkswagen a inventé le menteur diésel ». Le singulier ne vous étonne pas, ne vous étonne plus ? Ne savez-vous pas, vous qui travaillez, ou avez travaillé, combien de complicités, de connivences, de silences, de collusions, de compérages, d’ententes pour aboutir à un tel résultat ? Vous le savez, mais ne voulez pas y croire ! Justement il y faut une foule, celle que permet, encourage, stimule, exalte, la culture d’entreprise. Eh oui ! C’est pourquoi la foule est d’actualité, et aussi bien le texte de Freud qui s’y rapporte. Alors maintenant pourquoi citer Jacques Lacan dont les séminaires sont soi-disant  incompréhensibles comme me le disait encore hier une connaissance ? Vous n’êtes certes pas obligés de le lire, comme vous n’êtes pas obligés d’user d’un microscope ou à l’inverse d’une télescope. Quel rapport, me direz-vous ?  Eh bien sans Freud, sans Lacan, sur le point qui nous occupe, nous ne pourrions rien voir, rien appréhender. Libre à vous de vous engager dans la cécité. Donc une, disons même deux, citations de Lacan, pas plus. Mais nous ne vous épargnerons pas tout un texte de Freud : « Psychologie des foules et analyse du moi » (Essais, Payot, Paris, 1981).

Voici les deux :

« Rien d’indique en effet en quoi le maître imposerait sa volonté. Qu’il y faille un consentement, c’est hors de doute »

« Dans le discours du maître par exemple, il est en effet impossible qu’il y ait un maître qui fasse marcher son monde. Faire travailler les gens est encore plus fatiguant que de travailler soi-même. Le maître ne le fait jamais. Il fait un signe, le signifiant maître, tout le monde cavale. C’est cela dont il faut partir qui est en effet impossible. C’est touchable tous les jours ». (Séminaire XVII L’envers de la psychanalyse, p 202.).

Alors pourquoi cavale-t-on au moindre signe de commandement ? Non, ne me parlez pas de ce sempiternel lien de subordination qui est autre chose. Le lien de subordination aurait poussé, chez Volkswagen, tous les collaborateurs anonymes et impliqués, à rejoindre le mensonge d’une poignée de managers ? En tous cas, une poignée de managers, c’est déjà une foule[fr1] .  Freud met en série l’état amoureux, l’hypnose et la foule. A partir d’un élément : le lien hypnotique, qui est essentiellement un lien libidinal. Il faut bien sûr se départir de l’image cinématographique du grand cirque de l’hypnose, où le corps entre en état de lévitation, actionné par les paroles de l’hypnotiseur ! Il suffit de se concentrer sur un point, et de retirer, de soustraire son intérêt pour le reste. Aujourd’hui c’est répandu, tout le monde le fait devant son ordinateur, jusqu’à en perdre le sommeil ou l’appétit.  Il y eu et il y a encore : la radio, la télévision, les concerts, la lecture dans le métro, le smartphone etc.

S’hypnotiser et oublier le reste, ses problèmes par exemple. Il y a quelque chose de magique dans le lien hypnotique d’une foule, d’une horde – à distinguer du troupeau- à ce signe de commandement qui peut n’être qu’une idée, qu’un objet : un logo par exemple etc. On voit çà tous les jours en entreprise ! Freud parle de miracle (Wunder) : « Ce miracle, nous l’avons compris dans le sens où l’individu abandonne son idéal du moi et l’échange contre l’idéal de la foule, incarné par le meneur » (p.198). (Aufgeben c’est : expédier, quitter, laisser tomber). C’est donc une opération de troc. Dans le cas de Volkswagen, la phrase pourrait se terminer par «  incarné par le menteur ».

Nous parlons ici, avec la culture d’entreprise, non pas du premier cas de constitution d’une foule mentionné par Freud, à savoir la foule inorganisée, excitable à un degré extrême, impulsive et passionnée, versatile et inconséquente, irrésolue, accessible seulement aux passions les plus grossières et aux sentiments les plus simple, extraordinairement suggestible, violente dans ses jugements, réceptive uniquement aux arguments les plus simples et les plus défectueux, facile à mener et à ébranler, sans respect de soi et sans responsabilité. ( tous termes de Freud)

Mais de la foule hautement organisée  - mais rassurons-nous, qui a absorbé, intégré, assimilé, la majeure partie des propriétés que nous venons d’énumérer-,  qui suppose un certain degré de continuité, continuité qui peut être matérielle quand ce sont les mêmes personnes qui demeurent en foule pour une durée assez longue, ou bien une continuité formelle, quand à l'intérieur de celle-ci s’instaurent des positions déterminées, des places, des fonctions, assignées à des personnes qui se relaient (p144/145). Il faut donc qu’il y ait une organisation dans la foule qui s’exprime dans la spécialisation et la différenciation de l’activité pour chacun des individus.

Nous continuons quasi verbatim avec Freud. Dans cette foule, on se protège contre le rabaissement collectif du rendement intellectuel, qui est le propre de toute foule, en retirant à la foule le soin de résoudre les tâches intellectuelles et en les réservant à des individus isolés .

Dans le millefeuille hiérarchique qui prend son départ du conseil d’administration des actionnaires, pour traverser tous les niveaux managériaux existants, et in fine arriver au salarié lambda, nous pouvons appliquer cette opération d’une couche de responsables sur l’autre. Non ?

 Nous faisons ici volontairement abstraction des contrats de travail qui régissent la place de chacun et qu’on attend de lui, pour ne considérer que l’habillage diaphane, aux limites du visible, du perceptible, de l’entendable, que constitue l’organisation en foule, et qui a déterminé, dans le cas exemplaire de Volkswagen, un mensonge qui a certainement été partagé par des centaines, sinon des milliers d’individu.

Ce lien hypnotique, considéré par Freud, n’est pas pris en compte dans un livre comme celui de Jean de Maillard (L’avenir du crime, Flammarion, 1997). Nous citerons en contrepoint de ce livre dans son entier, une seule phrase de Freud : «  Dans l’aveuglement de l’amour, on devient criminel sans remords ». N’est-ce pas tangible pour ceux qui ont eu à juger de tels criminels ?

C’est en tout cas, selon nous, on ne peut plus transposable : «  Dans l’aveuglement du lien hypnotique de toute foule qu’elle soit, et renforcé par la culture d’entreprise, on devient facilement, menteur, intolérant à l’autre extérieur à cette culture, docile, on laisse son initiative personnelle ( sur son versant citoyen) se résorber dans la soumission, on laisse se dissiper son autonomie pour intégrer une hétéronomie absolument étrangère à ses valeurs intimes, on consent à son appauvrissement intellectuel par confort et facilité. Ce qu’on y gagne en retour n’est rien moins que risqué : une désinhibition de l’affectivité (sur laquelle on a bâti la fameuse intelligence émotionnelle, pour lui donner un peu de volume !), une jouissance qu’on ne connaissait pas, à savoir  le dépassement de toutes les limites dans l’expression des sentiments et leur décharge totale dans l’action. Bref le retour à un stade infantile bien frappé ! Mais c’est vrai, à plusieurs, çà passe inaperçu, jusqu’au jour où………Qu’ils en profitent ! La responsable DRH de pôle emploi que nous avons entendue hier, au colloque intitulé : «  Je travaille, moi non plus », à Paris, à l’initiative de psychanalystes de la FIPA (Fédération des Institutions de Psychanalyse Appliquée) et les cas cliniques qui y furent ensuite présentés, nous rappellent douloureusement que le symptôme peut sonner la fin de la récréation. C’est alors un réveil douloureux. C’est pourquoi la notion de réveil, si on l’oppose au somnambulisme hypnotique de foules salariales, a tant d’importance en psychanalyse comme nous le rappelle le de Carolina Koretzki, préfacé par Serge Cottet : Le réveil- Une élucidation psychanalytique, (Rennes, Editions Pur). Une psychanalyse installe une foule psychologique à deux dont, sous la direction de l’un, le psychanalyste, la visée est d’une certaine façon le réveil, la dissolution, le rompement, de ce lien hypnotique hautement dommageable.


 [fr1]

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