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Billet de blog 29 avril 2016

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L'idéologie positiviste, son transfert négatif à l'égard de la psychanalyse

Les traits se sont quelque peu accentués, voire durcis, dans le domaine de la santé, et aussi dans celui de la Kultur, quant à l'accueil fait à la psychanalyse comme référence. Celle-ci subit une décote, un désamour. Pour combien de temps ? C'est en tout cas aujourd'hui publiquement, politiquement que la problématique est posée impliquant des tensions au delà du particulier, et du singulier.

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Pour combien de temps par exemple, l'autisme servira t il d'alibi aux grandes déclarations et aux recommandations intempestives de la Haute Autorité en Santé à l'encontre de la psychanalyse, ce qui n'a lieu dans aucun autre pays en Europe, non plus qu'aux Etats-Unis, ou dans un pays comme l'Australie, comme le rappelait récemment Eric Laurent , psychanalyste, membre de l'Association Mondiale de Psychanalyse, lors d'une soirée organisée sous le titre " Qu'est ce qu'une preuve en psychiatrie?"[1] ? La mendacité sur la question du désir n'est plus l'apanage des authentiques anti-freudiens qui ont eux la haine vissée au corps, Les M.B-J, les J.V-R, et autres[2]. Nous défalquerons ceux-ci de notre propos. Ils ont lu vaguement Freud dans le texte, puis Lacan, ainsi que les freudiens et lacaniens qui ont choisi leur enseignement, ont pris pour cible l'énonciation même de Freud, laquelle constitue le foyer ardent de leurs déclarations, ceci pour en extraire une vision paranoïde quant à la pratique et à la théorie psychanalytique. M.O, philosophe médiatique, les a ensuite accompagnés pour les nourrir de ses idées philosophales, philosophides. M.J-B avait fréquenté les colloques de l'Ecole Freudienne de Paris, s'etant fendu d'un exposé à Rome devant Lacan[3]. J.V-R se targue d'avoir fait quelques années de psychanalyse. Ce qui laisse à penser qu'un idéal féroce semble avoir présidé à ce retournement tout aussi viscéral. Eux s'en servent pour faire valoir qu'ils connaissent le milieu analytique de l'intérieur ! M.O quant à lui, pointait au cours d'une émission avec Thierry Ardisson que sa mère lui aurait " refilé la patate chaude", sans même s'aperçevoir que son propos était freudien. Comme quoi la fréquentation de la philosophie a des effets des plus inattendus en terme d'angle aveugle. (Souvenons nous : la psychologie est issue de la philosophie, laquelle a été produite par scissiparité d'avec la théologie).

 Une dissonance donc, une discrépance allant jusqu’au dis-crédit se fait sentir, depuis plusieurs années, quant à la psychanalyse, depuis l’aérosphère culturelle – disons plutôt civilisationnelle ( d'où plus haut notre terme allemand de Kultur) - civilisation oxydée par d’autres sphères encombrantes, encombrées elles mêmes au plus haut point de critères quantitatifs et utilitaires. Faut il y voir la marque de l'idéologie économique dont le puissant suc digestif dissout le moindre débat politique, ringardisant au passage les sciences dites humaines ? Faut-il l’imputer à l’idéologie scientiste et technologique en passe d’automatiser à l’extrême notre rapport à la nature, aux autres, et dans la foulée à nous-mêmes ? S’agit-il d’un simple désamour, le temps que le cycle de la mode en matière de pensée fasse un tour complet sur lui-même pour y revenir et en retrouver des habits comme neufs ? Ou bien encore s’agit-il de cette vogue d'une philosophie qui vient nourrir le moindre propos de tout manager qui veut se représenter comme intelligent et faire reluire son « leadership » ? Ceux-là, et bien d’autres encore sont à mettre au compte de cette discordance. Et la mendacité sur la question du désir est portée par un pénétrant appareil de communication et de marketing. 

Nous partons de la thèse que le sujet hypermoderne de notre civilisation est placé, assigné à une position qui exacerbe sa sensibilité sur le versant de la divergence, de la réticence, de la répulsion, de la récusation, et à minima de son dés-accueil quant à la psychanalyse. La position en cause ici à laquelle il semble difficile au plus grand nombre d’échapper est celle d’objet de l'Autre, position qui gomme, déclasse, disqualifie celle de sujet, qui se décline invariablement en sujet du désir. Toute personne comprend deux dimensions, celle de sujet et celle d'objet. Une position fondamentale, primordiale d’objet, héritée de l'enfance, objet cause du désir instauré dans son rapport au désir de l'Autre parental, position avec laquelle il va, comme sujet,  rencontrer et tenter de faire avec ses différentes déclinaisons sans tomber dans la déréliction : objet de désir de l’autre, objet d’amour de l’autre, de rejet, d’attraction, de répulsion, dans toutes leurs gradations et nuances qui se rencontrent dans la vie quotidienne.* Jean Paul Sartre par exemple pouvait ainsi écrire dans L’être et le néant (Ed Gallimard, Paris, 1976, p.432)  que la difficulté de l’acte d’amour, de l’acte sexuel, était que le sujet devait en passer par la position d’objet de l’autre, tout en restant sujet. Jacques Lacan lui a formalisé le mathème de l’objet a, auquel il a assigné différentes valences, valeurs, tout au long de son enseignement.

Plus que jamais donc, et dans une extension qui n’a jamais eu son pareil quant à la masse, à la foule aujourd’hui en cause, le sujet est aujourd’hui objet. Objet de contrôle quant à  « son savoir-être », objet aussi des injonctions de protocoles bureaucratiques démultipliés émanant tant de la sphère privée que de la sphère publique. De plus, il est de manière étendue et constante, dans l'espace comme dans le temps, parlé par une langue, un discours, qui le détourne, le déloge de son rapport à sa subjectivité, à son authenticité. Cette novlangue, abrasive, est aujourd'hui l'un des lieux de sa déportation. Enfin il va être, il est déjà, objet des multiples capteurs que la technologie numérique multiplie pour siphonner ses paramètres comportementaux immédiatement traduits en données numériques et intégrant des algorithmes pour lui constituer une tunique de Nessus moderne : doublure robotisée, automatisée, qui est tout à la fois sa doublure productiviste et consumériste. Une doublure algorithmisée qui intégre la constellation des représentations virtuelles logées dans les réseaux, les interfaces et plateformes digitales et à partir desquels il se voit ensuite sommé de répondre.

Cette position prise à l’échelle de masse, globalisée, interfère et sophistique un peu plus selon nous le schéma que Freud a formalisé dans « Psychologie des foules et analyse du moi », et que Lacan reprend dans ses séminaires, La relation d'objet (p.177) d’une part et Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse (p.245).  Schéma qui demanderait, mais c'est à voir, une mise à jour. Qu'en pense Jacques Alain Miller qui poursuit cet enseignement?

C’est cette thèse de la prééminence de la position d’objet dans le sujet, position réfractée par le prisme de son instrumentalisation qui nous fait aborder le propos de Jacques Alain Miller qu’il déploie tout au long du recueil : Le transfert négatif [4]. En quelque sorte ce texte nous montre que la clinique de la foule d'aujourd'hui, du sujet dans la foule, rejoint la clinique qui se développe dans cette conversation. Que ce qui pouvait à l'occasion se développer dans la clinique d'une cure, dans un lieu privé donc, est rattrapé par ce qui se manifeste dans la sphère publique. En retour c'est la clinique psychanalytique qui permet de lire cette dénaturation du sujet en objet par son intégration dans la foule.

Le livre Le transfert négatif aligne et décrypte méticuleusement les valences de la position d’objet sur son versant palea qui peuvent être prises par  le sujet en analyse, irradiant leur tonalité négative dans les entretiens, dans la modalité de la "mésestime de soi".  C’est ainsi que les interventions de l’analyste, aussi variées puissent elles être, peuvent alimenter le sentiment de dévalorisation du sujet en analyse,  et qui lui font jeter la suspicion sur ce qui pourrait lui venir de cet Autre.  La suspicion, le soupçon, à savoir une « croyance nourrie de méfiance » (P.25). Une position inductive qui peut s’avérer indéboulonnable. Où l’interprétation, la position interprétative elle même,  pourra apparaître comme malintentionnée.  Quelle serait cette malintention, d’un analyste qui devient alors suspect ?

Mais tout d'abord,

si l’on pense que l’analyste est placé en position de I, d'idéal-du-moi, cela peut engendrer chez tel sujet une position dépréciative de lui-même, ceci pour ainsi dire par induction comparative. Et ce selon diverses modalités. Freud dans son texte «  Pour introduire le narcissisme »[5] en avait pointé une avec l’objet d’amour idéalisé, au point que le sujet puisse en venir à retrouver des positions perverses, à savoir masochistes, par appauvrissement du moi. Ici dans la situation analytique, ce peut être du fait qu’un «  Tu ne sais pas ce que tu dis » soit le message qui revienne au sujet, dans ce contexte « d’atmosphère interprétative » (p.32). Plus largement, que l’analyste apparaisse comme porteur de quelque chose dont l’analysant est privé (p.33). Que l’analysant se vive comme un nul en face de quelqu’un auquel il attribue imaginairement une certaine puissance. C’est en quoi on peut approcher le fait que la propre demande d'un sujet l’obsessionnel puisse déclencher sa haine à lui. (p34 & 35-72)  Que l’autre soit en position de donner, donc qu’il se présente comme maître du don, destitue ipso facto le sujet obsessionnel de son piédestal moïque. Voilà donc un premier vecteur du surgissement du transfert négatif dans la cure.

D’un point de vue actuel, on peut étendre aussi le propos de Jacques Alain Miller concernant la complaisance des travailleurs de la santé envers un idéal supportant l’impossibilité de sa réalisation, à beaucoup d’autres salariés dans d’autres secteurs et domaines, aujourd’hui que le Burn-out a fait une apparition remarquée dans le monde du travail, aux côtés d’autres formes de détresse tout aussi destructives.

Un second vecteur du transfert négatif tient à la dynamique propre de la cure analytique. " La levé du refoulement se paye toujours d'une intention agressive avec un transfert négatif sur l'analyste" (p.90) Car le refoulement est " le voile[...] qui protège le sujet de l'horreur". C'est de notre point de vue, ce point qui aujourd'hui est devenu manifeste dans la sphère publique. Elle rencontre cette horreur qui peut se découvrir, quand une personne se retrouve rejetée par le système utilitariste et quantitatif, et perçoit la psychanalyse comme pouvant la coéfficienter à l'inverse de l'atténuer.

C'est ce que nous avons pu appréhender avec certaines personnes que nous avons reçues dans le cadre du dispositif de Souffrances Au Travail , [6]qui existe depuis maintenant seize ans, et dont la pratique est orientée par la psychanalyse lacanienne. Mais avant ce rejet qui le tétanise, le sujet a subi, car contraint à la passivité,  la puissante hypnose de l'idéologie positiviste qui traverse la science, s'est diffusée dans la sphère économique  quotidienne [7](

Illustration 1

) et irrigue toute la culture d'entreprise d'aujourd'hui, et les séminaires de management. C'est ainsi qu'avant de se retrouver objet émargé, il en a été  l'instrument, ce qui en est une variante. ( Lire le Kant avec Sade de J.Lacan dans ses Ecrits)

Le signifiant "positif" a ainsi essaimé ses significations dans tous les domaines de la société, stérilisant et mutisant au passage les champs rétifs à s'en référer, exception faite de la psychanalyse, qui a sa propre dynamique théorique adossée à la pratique clinique. Si une cure analytique peut nous permettre de savoir ce que nous avons été comme objet**dans le désir de l'Autre toujours teinté d'une jouissance opaque, ceci pour nous départir de ses effets délétères, déréalisants, dépersonnalisants,  quand ils se sont avérés tels pour le sujet , l'idéologie managériale et positiviste, dans sa version économico-technologique d'aujourd'hui contribue sans nul doute a le perdre, à le faire davantage encore errer, en le vidant de sa subjectivité. C'est en quoi la psychanalyse, l'inconscient pour être plus précis, revêt plus que jamais une dimension politique.
(René Fiori, psychanalyste, membre de l'Euro Fédération de psychanalyse via l'association L'envers de Paris, membre fondateur et vice-président de Souffrances Au Travail, coordinateur d'Intervalle CAP du week-end, membre créateur de Radio-a, vice-président de l'Association des psychologues freudiens, auteur de La femme aux épingles - rencontre avec un cas de Freud- De la névrose obsessionnelle à la mélancolie, Ed Createspace Amazon, Janvier 2015, disponible dans plus de 10 pays, )


[1] "Qu'est ce qu'une preuve en psychiatrie?", soirée organisée par Le Comité d'organisation du groupe « Débats publics de la psychiatrie d'aujourd'hui et de demain » :  Patrick Bantman, Claude Barazer, Mireille Battut, Hervé Bentata, Hervé Bokobza, Guy Dana, Fernando de Amorim, Olivier Douville, Jean-Pierre Drapier; Georges Fischman, Tristan Garcia Fons, Nicolas Gougoulis, Bernard Granger, Pascal-Henri Keller, Simon-Daniel Kipman, Patrick Landman, Rhadija Lamrani, François Leguil, Emmanuel Peolon, Dominique Tourres Landman, Alain Vaissermann, Elie Winter, Laure Woestelandt.

[2] Le livre noir de la psychanalyse- Vivre et aller mieux sans Freud , Ed. Les arènes, Paris 2010, nouvelle édition.

[3] Borch-Jacobsen M, "Tombe" Lettres de l'Ecole freudienne, Rome, Bulletin intérieur, N°16, Novembre 1975, VII Congrès de l'Ecole freudienne,

[4] Le transfert négatif, Coll. rue Huysmans, Paris, 2005, sous la direction de Jacques Alain Miller.

[5] Freud S., "Pour introduire le narcissisme", La vie sexuelle, Paris, Puf, 1982, p 83/84 : " La plus haute phase de développement que peut atteindre la libido d'objet, nous la voyons dans l'état de passion amoureuse, qui nous apparaît comme un déssaisissement de la personnalité propre, au profit de l'investissement d'objet" ; p.104 "La passion amoureuse consiste en un débordement de la libido du moi sur l'objet. Elle a la force de supprimer les refoulements et de rétablir les perversions"

[6] Souffrances Au Travail, association loi 1901 créée en juillet 2000 par Béatrice Dulk, René Fiori et Dominique Pagant, s'est fait connaître publiquement lors d'une soirée de l'Envers de Paris en 2003 organisée par la psychanalyste et psychiatre, membre de l'Ecole de la Cause Freudienne, Francesca Biagi-Chai. Elle fait aujourd'hui partie de la Fédération des Institutions de Psychanalyse Appliquée dont la 2ème journée s'est tenue le 12 mars dernier à Bordeaux.(lire aussi le livre publié par le collectif et qui rend compte de son action , Souffrances Au Travail- Rencontres avec des psychanalystes, Paris, Ed SAT, sept 2012, vendu via le site www.souffrancesautravail.org)

[7] Lecourt Dominique, "Positivisme", Dictionnaire d'histoire et philosophie des sciences, Paris Puf, 2006- Voire aussi l'oeuvre de Georges Canguilhem, Gaston Bachelard, et l'excellent ouvrage de Louis-Gérard Varet : L'ignorance et l'irréflexion : essai de psychologie objective, non réédité.

* Cette position acquise d'un savoir sur ce que l'on a été comme objet dans l'Autre primordial, rendue possible par le travail analytique se complémente avec le  fait qu'on s'en démarque, qu'on n'en reste pas capturé, ceci en la rejetant sur le psychanalyste qui a mené l'analysant jusque là. C'est ce dernier qui  devient le véritable objet qui se trouve évacué à la fin de la cure. ( Lire le séminaire XV encore inédit de Jacques Lacan " L'acte psychanalytique" (1967-1968). IL y a là comme un transfert d'objet de l'analysant à l'analyste, lequel doit supporter cette position, option que sa propre analyse en principe lui a permise. 

** Se reporter à la fin du séminaire XIII inédit de Jacques Lacan "L'objet de la psychanalyse", à partir de la séance du 25 mai 1966. 

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