Quelques éclaicissements après le commentaire que j’ai placé sur l’appel au monument Baudin : « Un écho de l'action menée depuis 1997 pour la remise en circulation citoyenne de la mémoire des Insurgés républicains de 1851, sur le site de l'Association 1851 http://www.1851.fr/»
L’histoire est une chose trop sérieuse pour être laissée aux seuls historiens (je ne fais pas la fine bouche, modestement je suis de la famille). C’est ce que nous avons pensé, à quelques-uns, Bas-Alpins et Varois, après les victoires municipales du F.N., alors que de Belles Âmes germanopratines stigmatisaient les électeurs provençaux. Nous voulions nous inscrire a contrario. Dans une Nation qui a pour hymne La Marseillaise, la tradition démocratique n’était-elle pas la meilleure des traditions méridionales, trop souvent folklorisées ?
Depuis longtemps, nous rappelions la Geste républicaine de décembre 1851, dans notre Sud-Est bien sûr, où les Insurgés furent si nombreux et déterminés, mais encore dans la vingtaine de départements du Sud-Ouest, du Languedoc, du Roussillon, du couloir Saône-Rhône,du Bourbonnais, du Berry, du Val de Loire, de la Bourgogne et du Jura, où tant de simples citoyens se dressèrent, alors que Paris était écrasé par la botte militaire : une résistance qui fut essentiellement celle d’un peuple de paysans, d’artisans, d’ouvriers des petites localités, d’enseignants, de modestes notables locaux : médecins, notaires…
Avec l’approche du 150eanniversaire du coup d’État de Louis Bonaparte, le moment était sans doute propice pour irriguer la conscience citoyenne, bien émoussée (l’élection de 2002 le prouvera), du souvenir de ces humbles, de ces sans-grade, trop souvent oubliés, qui, en ce glacial décembre, se levèrent pour défendre la République. Une République violentée par celui-là même qui devait la défendre, son Président. Ils le payèrent cruellement : exécutions, emprisonnements massifs, déportations en Algérie, relégation au mouroir de Cayenne… Et d’une certaine façon, ils le payèrent aussi par le peu de cas que fit et fait encored’eux la postérité officielle et républicaine.
Ainsi naquit en 1997 l’Association 1851-2001 pour le 150e anniversaire de la résistance républicaine au coup d’État du 2 décembre 1851. Le siège en fut symboliquement fixé aux Mées, où les Insurgés bas alpins, après avoir occupé la préfecture de Digne, repoussèrent l’armée du coup d’État, puis attendirent, mais en vain, la victoire nationale de la République…
Dès sa naissance, l’Association mêla, et ce fut sa force, des citoyens liés affectivement à ce souvenir de 1851(souvent par tradition familiale, locale ou régionale), des militants associatifs et/ou politiques d’horizons divers, des animateurs culturels, des historiens, des élus locaux, chacun comptant pour Un.
Jusqu’au 150eanniversaire, qui fut le point d’orgue de ses quatre premières années, l’Association a développé une activité intense, dont son site http://www.1851.fr/ peut donner une idée : conférences, journées d’études, publications, célébrations publiques, participation à des émissions de radio et de télé, contribution à la réalisation de films et de pièces de théâtre, diffusion des remarquables travaux déjà publiés par des historiens, encouragement à prolonger cette recherche par des études novatrices. Naturellement, cette activité a touché au premier chef les départements qui connurent une résistance, ainsi que la capitale (brochure publiée en collaboration avec la municipalité parisienne en 2001).
Après la commémoration de 2001,la question se posait de l’avenir. Nous avons décidé de continuer dans les mêmes registres, en transformant le titre, désormais « Association 1851pour la mémoire des résistances républicaines ». On trouvera un reflet de ces activités, et de ces ambitions, dans René Merle, « Insurrection de1851, lettre morte ou souvenir agissant ? »
http://www.1851.fr/nouveautes/nouveautes.htm
En effet, l’expérience de ces quatre années nous avait montré combien notre présent s’éclairait d’une réflexion sur ce qui avait conduit au coup d’État, et donc à la résistance populaire sur une partie du territoire.
Pour ma part, dans cette mise en abyme des années 1848-1851 et de notre actuelle république consulaire (pour ne pas dire monarchie), je mettrai en avant les points suivants, tant du côté des « conditions objectives » du développement de la conscientisation républicaine avancée (dont la Résistance de décembre 1851 fut l’aboutissement), que du côté de ses motivations.
Du côté des conditions objectives :
- On ne saurait trop rappeler le contenu de classe de cette République bourgeoise, dont témoigne l’écrasement initial du prolétariat des grandes villes (Rouen, Marseille, Paris, Lyon). Hugo, entre autres, entraînant les gardes nationaux contre les Insurgés de Juin… Trauma épouvantable qui déconnectera ce prolétariat du mouvement républicain : la mort de Baudin en témoigne…
- Rappelons aussi l’inaptitude de ces républicains à solutionner la crise économique et sociale dont ils héritaient. En tentant de la maîtriser par une fiscalité écrasante, ils seront responsables, dès leurs premiers mois de gouvernement, de la désaffection massive du peuple rural, grandement majoritaire alors.
- On ne saurait trop insister enfin sur le rôle de la Constitution de 1848, matrice de la nôtre, qui, pour la première fois dotait la France d’un Président, maître tout puissant de l’exécutif. Taillée sur mesure pour assurer la victoire du « bourreau de Juin », Cavaignac, garant de l’ordre bourgeois, elle profitera en définitive à un aventurier politique, porté par la déception des masses populaires, Louis Napoléon. Il était élu pour quatre ans, et ne pouvait se représenter… On connaît la suite.
Du côté des conditions subjectives :
Il faut d’abord insister sur le courage et la lucidité de ces « démocrates socialistes », stigmatisés du nom de « Rouges » qu’ils reprirent fièrement : alors que tout paraissait perdu après l’élection triomphale de Louis Napoléon, en décembre 1848, les voici qui s’emploient à gagner ou regagner à la cause les masses populaires désorientées ou désabusées. Et ce malgré la très dure politique répressive du pouvoir. Cette ténacité militante, au plus près des réalités populaires, permettra des succès électoraux éclatants.
C’est dire que ce n’était pas la République conservatrice du parti de l’Ordre alors au pouvoir qu’ils défendaient.
Aussi bien, en décembre 1851, leur insurrection fut une insurrection légaliste, de défense de la Constitution violée. Mais elle était aussi porteuse d’une immense espérance, celle de "la Bonne", "la Sainte", la République démocratique et sociale… Rhétorique qui peut faire sourire aujourd’hui devant l’usure des mots, mais qui s’appuyait d’une grande audace politique : la République démocratique ne pouvait être que sociale, c’est-à-dire à donner l’ouvrier le droit au travail, assurer au petit paysan et à l’artisan la garantie de leurs propriétés menacées par l’usurier ; c’est-à-dire aussi ouvrir à tous les enfants une école laïque, et gratuite. On comprend mieux quel « front de classe » s’est constitué autour des « démocrates socialistes », avec comme perspective un horizon très concret de réformes en cas de victoire électorale en 1852, et comme oxygène le souvenir enivrant de la Première République, celle de l’Égalité.
La responsabilité citoyenne qui fit se lever les insurgés contraste de façon presque caricaturale avec le comportement de l’appareil d’État (administration, magistrature, armée trempée dans la guerre coloniale d’Algérie), qui bascula sans états d’âme dans le camp de Bonaparte, rempart contre le péril « rouge ».
Chacun tirera évidemment ses propres conclusions de ce face à face de la Seconde République et de notre Cinquième République en bout de course. Les lecteurs intéressés pourront se reporter à la rubrique « insurrection de 1851 » de mon blog http://rene.merle.charles.antonin.over-blog.com/ pour connaître les miennes.
René Merle