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Une nécessaire mathématique.
Au cœur de la musique. Voilà qui se fait plus chantant. Une nécessaire mathématique dans le corps de la musique, plus exactement. L'évidence a fini par se faire jour à force de tous ces petits tâtonnements sur le piano, elle ose se clamer enfin sans crainte de froisser des oreilles sensibles trop longtemps prévenues contre le mélange des genres : on joue de la musique, mais on travaille en mathématiques ! C'était la voix sévère du maître sans appel. Il ne savait pas qu'il nous fallait apprendre les mathématiques avec la musique, c'était on ne peut plus évident. On dit que Pythagore aurait inventé les deux en même temps, en écoutant frapper les forgerons. Dans les cours de récréation on saute à la corde, on joue à la marelle, on monte des pyramides de billes, on fait du petit commerce. Compter sur ses doigts, chanter les tables de multiplication, c'était déjà un bon début. On apprend si vite, quand il y a du plaisir à la clé. Le piano attend patiemment qu'on le sollicite. Ceux qui l'ont fait si régulier, si bien tracé, alterné et contrasté et mathématiquement conçu selon Pythagore, doivent piaffer d'impatience à nous attendre !
Mais l'école était un peu sur le mode de l'élevage des animaux domestiques qu'on rentre à l'écurie chacun attaché à son piquet. Le dimanche, l'enfant que j'étais allait parfois s'émerveiller du son du piano jouet d'une cousine, et le jeudi après-midi un petit camarade qu'on traitait de macaroni m'invitait chez lui, je l'admirais car il travaillait devant moi son accordéon. Ainsi file l'enfance fleurie de musique et de chansons, à cloche-pied dans les trous oubliés du temps scolaire. A l'intérieur de l'édifice tout est fait pour durer, selon la méthode d'un très respecté maître de la plume d'oie parlant latin mais ignorant le javanais. Mais il est maintenant certain que la méthode ne fonctionne plus.
La musique est partout. Celle faite par les musiciens, celle que font, peut-être sans le savoir, tous les êtres vivants, mais aussi les choses, l'eau, le vent, la terre. Tout est musique pour qui en a besoin, elle est presque inexistante pour qui n'y est pas sensible. Tout est peinture aussi si tel est notre plaisir. Quel est votre plaisir ? Je comprendrai un peu comment vous apprenez.
Si les mathématiques sont en toutes choses, en tous lieux, il en est de même pour l'art, pour la musique, pour l'histoire et pour bien d'autres de nos perceptions et conceptions.
Mes doigts sur les touches du piano m'apprennent aujourd'hui non seulement les mathématiques mais le tissage, la gymnastique et même la biologie. Les notes qui circulent dans le corps déposent des multitudes de savoir-faire et d'idées à développer comme peut-être fait la sève dans les plantes, préparant ici des bourgeons, là des fleurs ou des feuilles — des oreilles, comme dit Prévert, en argot les hommes appellent les oreilles des feuilles, c'est dire comme ils sentent que les arbres connaissent la musique...
Peinture de Pieter Bruegel (l'Ancien)