Les deux hirondelles au bel habit noir et blanc m’ont donné le signal : Il faut que je fasse ma migration. Il faut que je parte. A l’instant. Avec ce que j’ai sur le dos. Mon fardeau n’est pas bien gros : monsieur Nuit se tient coi, léger comme une plume, mais en lui est toute la chaleur qui me sera nécessaire, la réserve d’énergie qui se transformera en mondes imaginaires de toutes les langues que nous allons traverser, je sais que monsieur Nuit est un étonnant interprète. La longue saison que nous venons de vivre est maintenant rangée dans ses fines pelures ou je ne sais comment filtrée ou papillonnée en poussière veloutée.
Je me mets en route juste un peu plus bancal en pleine nuit, je sais glisser encore sur le plancher, mon corps reconnaît le bois de l’arbre qui va me porter jusqu’au matin. Jaloux de l’arbre quand adolescent je découvrais la forêt grâce au professeur qui nous a fait lever le nez, Regardez le port des arbres, différent selon leur espèce. Monsieur Nuit gardien de mes histoires garde maintenant pour lui mes aventures rocambolesques avec mes frères d’arbres. Avant que le matin vienne je rêve quelques verstes, quelques arpents de territoires où des insectes sont rois et magiciens, bâtisseurs de machines volantes dégingandées armées de seringues effrayantes, jouant de longues danses macabres, perpétrant des crimes en broderies de poisons foudroyants. Ce n’est rien moins que le sacrifice des danseurs, l’embrasement des décors pour le déploiement de mes jambes. Et je ne sais pas où je vais. Je ne sais pas qui je suis — de suivre, j’entends — car pour être il me suffit de suivre.
Tu préfigures la paix, ce qu’elle sera : le ravalement de la guerre en nous. Tu ne saurais comprendre. Tu t’en remets à Dieu, encore une fois, à Dieu qui n’existe pas. Mais la douleur existe. Et tu sais ce qui te fait fuir : la douleur ; les hommes.
Bientôt, le jour va chanter. Tu seras arrivé.
Mais le matin est silencieux.
En habit noir et blanc, lustré, éclatant. Mais silencieux aussi. Et si c’était un enterrement ?
https://renethibaud.com/2025/04/08/en-habit-noir-et-blanc/
Georges Braque, L’oiseau, plâtre gravé , 1940