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Billet de blog 9 mai 2025

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C’est un vertige qui me prend quand j’entre dans ce livre, tant les mondes y affluent, s’y remplacent et superposent, s’y contredisent, s’y éliminent, s’y menacent, tant le vrai est multiple, tant le beau peut s’effondrer et s’enflammer.

Tu ne peux pas m’entendre. Je ne peux pas te parler. Mais tu écris, tu t’échappes, tu parles Tu. Tu m’as trouvé sans me connaître, moi, ton lecteur. Je sais que tu ne m’entends pas mais je voudrais te demander si tu as eu conscience que ton prénom était une chaîne incontournable, qu’il te suffisait de te présenter, Hannah, pour que tu te sois livrée, pieds et poings liés par d’autres que toi. Cela je l’invente, les lettres d’un mot n’ont pas d’autorité, ce n’est que le hasard qui me fait trouver dans leur agencement une porte d’entrée ou de sortie vers la lecture ou l’écriture. Il me faut aller vite, je te parle moi aussi sans masque. Entre nous il n’y a rien, que la continuité du Tu qui nous verse l’un à l’autre. Mais nous sommes dans les chaînes du totalitarisme. A moins que nous en perdions la conscience. Qu’il n’y ait à nouveau plus que la circulation de vie entre nous. Plus aucun nombre qui nous surplombe, alors tout se relie, comme horizontalement, tout et tous, un à un, de proche en proche.
C’est ainsi que je te lis. Tu t’évertues à montrer les chaînes. Tellement qu’elles te dominent — qui crois-tu qui va nous en défaire — définitivement ?

Si l’on commence à regarder depuis la loi des nombres — la loi des objets, la loi des Cela à la place du Je-Tu — on ne peut qu’en explorer l’empire, car il tient la totalité. Mais lorsque tu m’écris — sans me connaître — je ne prends pas « ce » que tu m’écris, mais que « tu » écris. Ce que tu montres — le totalitarisme, son histoire sous toutes ses formes, — tu le désécris. Tu te défais de ton nom même, de tout ce que tu es. Alors, je te lis.

Nous nageons dans les mêmes eaux, nous sommes chahutés par les remous, malmenés par les courants contraires, nous luttons, nous abandonnons. Je ne t’entends plus. Je t’attends, je te précèdes, tu me donnes raison. Tu me ramènes à toi. Nous avons bien assez de cette vie dans laquelle nous sommes immergés, rien n’y manque.
Surtout pas le discours des nombres, de la société totalitaire. Où est-elle ? A-t-elle jamais connu la rivière ? Est-elle autre chose qu’une fabrique de poisson sec ?
Nous avons mal à la gorge, les branchies ouvertes assèchent notre lecture. Pourquoi continuer à en passer par là… Parlons-nous directement. Voilà ce que je te dis, voilà ce que j’implore. Repose-toi contre mon flanc. Je m’appelle Hannah m’a dit ma voisine l’autre jour, qui venait emménager. Elle est réfugiée ukrainienne. C’était une autre toi. Tu reviendras toujours. Tant qu’il y aura des humains. Tu seras un poisson desséché sur le drap. J’en serai un autre.

https://renethibaud.com/2025/05/09/lire/

Pierre Boncompain, plongée, 114x195cm

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