René Thibaud (avatar)

René Thibaud

Abonné·e de Mediapart

248 Billets

0 Édition

Billet de blog 10 mars 2016

René Thibaud (avatar)

René Thibaud

Abonné·e de Mediapart

Cercueil en carton

René Thibaud (avatar)

René Thibaud

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

L'angoisse que ma vieille amie a toujours tenue à distance plus ou moins rapprochée prend une nouvelle forme ces jours-ci, celle du cercueil en carton. La bonne aubaine ! Puisqu'on n'a pas le droit de se faire enterrer dans un linceul à même la terre de son jardin, elle se rabattra sur cette nouveauté dont on parle dans sa revue écologiste : le cercueil en carton. Elle a toujours eu la hantise d'être enfermée sous un lourd couvercle de bois impossible à ouvrir de l'intérieur en cas de décès erroné, de retour inopiné à la vie ou de résurrection.
Les petits boutons sous l'épiderme d'une omoplate, à peine perceptibles lorsque je les savonnais le matin, ont envahi le dos à côté comme un brusque eczéma. Peut-être après que j'aie décidé d'arrêter ce médicament que je prenais depuis quelques années pour des jambes sans repos. C'était plusieurs mois après les tueries de novembre, plus d'un an après la tuerie de Charlie hebdo.
C'est là que je me suis mis à relire "Osons rester humain" de Geneviève Azam. J'étais étonné qu'on n'ait très peu parlé dans les médias de ce livre terrible. Je ne l'ai pas trop aimé la première fois, et pour cause, c'est une écriture malcommode. Mais maintenant moi aussi je me trouve dans l'incommodité. Voici, vers la fin :
« L'extériorisation de la reproduction humaine met symboliquement à distance le corps féminin et son rôle dans la reproduction humaine. Une fois extraits, les biomatériaux acquièrent une valeur économique détachée de leur origine corporelle. C'est pourquoi d'ailleurs la revendication d'indifférenciation des corps, que reprennent certaines féministes, s'accorde avec cette économie de la vie. La multiplication des banques de sperme, de sang menstruel, de sang ombilical, d'ovules, de placenta, de cellules souches s'ajoute aux biobanques dédiées à la biodiversité. L'optimisation de la vie en elle-même abolit les frontières entre la zoê, la vie naturelle commune aux vivants, et le bios, la capacité biographique spécifique du monde des humains, donnée par la parole et le partage d'un monde commun. La condition humaine est incorporée dans le processus de la vie de l'espèce et des espèces, l'individu comme corps vivant n'est plus seulement l'enjeu de stratégies politiques mais de stratégies techno-économiques. Quand le profil génétique définit l'identité, la vie biologique occupe le centre de la scène, reléguant très loin l'espace politique, celui qui demande comment vivre ensemble.
L'économie de la vie aspire à un pouvoir sans limite sur la vie. Après avoir déclaré l'économicité générale du monde social et de la nature, la bioéconomie déclare l'économicité du monde biologique et ambitionne de devenir une technoscience de la vie.»
Je me sens noué.
Alors je mets les liens dans mon message : lien d'angoisse et lien de distance.
Autrefois on rêvait plutôt de se faire ensevelir sous les dalles d'une cathédrale ou d'un temple ou d'une pyramide.
J'ajoute une poignée de fleurs bleues.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.