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Billet de blog 12 mai 2025

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Forêt

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Illustration 1

Forêt générationnelle, qui hier m’a accueilli, les bras ouverts — nombre de bras aux modulations sans limites — , adopté, enfant et corps vieillissant, pourvu des veines, du sang, de l’air respirant dans la multiplicité des mouvements des feuilles.
Forêt générative, je la cherche dans la nuit. Elle est un total éparpillement. Elle est dans des graines. Dans une graine. Le vent, l’oiseau, l’ont emportée.

Du haut de ma fenêtre je la recherche dans la rue. Je la scrute, je l’attends entre les carrosseries, le goudron, comme on fait l’affût d’une bête. Je suis déjà dans la forêt, même si je ne la vois pas encore.
Voilà une dame qui passe, assez vieille, posant avec régularité et précaution des pattes d’échassier sur le trottoir, de bleu-gris vêtue comme un petit héron, le corps balançant calme cintré entre deux coques fuselées d’une élégance sobre, la tête plutôt petite, des cheveux blancs, scrutant elle aussi, avec patience et conviction, son avenir, son présent, les miens peut-être ou ceux d’un autre, au gré de ses pas mesurés, laissant percevoir une légèreté sans pareille.
Le décor de la rue s’emplit à nouveau de bruits, sur la chaussée longs lourds massifs véhicules, hirondelles et martinets dans le ciel du matin, d’autres passants sur le trottoir, que je pourrais connaître aussi, d’autres habitants de la forêt. Nous nous faisons signe pour traverser la rue. Les voitures ralentissent, attendent. Les lycéens chahutent, maltraitent le panneau de signalisation du bus. Le soleil sèche les traces noires d’humidité sur le trottoir. Il y a le partage de beauté des corps humains. Sur des hanches féminines, le moulé de fesses sur le jean, je perçois de haut la trace de mes yeux, de mes mains. Dans les sauts des enfants, dans la danse des groupes qui passent, portés par une même musique inécoutée, silencieuse, inapparente, dans les jeux bagarreurs des adolescents, dans la démarche tranquille et fatiguée d’un vieux cerf, broussaille blanche sur la tête, sans corne ni bois mais toupet blanc autour du menton, partout dans la rue où je marche maintenant, descendu de mon château, réduit à ma taille d’insecte ou de lézard, je sens mon appartenance, je suis en forêt.

https://renethibaud.com/2025/05/12/foret/

peinture de Hélène Duclos

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