Il sortit de son sac les petits cochons qui s'y trouvaient encore — cochons pour cochons-dindes. Ça s'est tout de suite esbigné dans tous les coins, sauf un, resté immobile sur la table, comme paralysé de peur — c'est ce qu'il s'est dit.
Il sortit du lit pour aller tirer le rideau et voir le merveilleux couple d'une lune en barque sur le Nil bleu du matin face à l'étoile de Venus qui la couvait de son regard amoureux.
Il retourne sous la couette, éteignit pour la troisième fois depuis qu'il avait commencé à écrire, phrase par phrase, ce qui serait peut-être sa nouvelle.
Le bruit des voitures dans la rue s'amplifiait, accrochait les rumeurs aux grouillements, aux grondements, concassements, tressauts, vrilles, vibreurs de volume assommant, il attendit une pause, un répit.
La veille au soir, il s'en souvenait, le couple mythique s'était rejoint fenêtre opposée à l'ouest où chantait maintenant en trilles grinçants un merle, qu'il imaginait luttant contre le déchaînement presque incessant du trafic à l'est. Il renonça à écrire, agacé, remit sa tête sur l'oreiller orange. Tout continua. Le merle s'acharna, côté jardin, vrilla sans répit dans l'adversité de la matière sonore polluante de la rue de l'est, le boulevard de la libération, qui portait si mal son nom aujourd'hui que les blindés, les troupes motorisées sont devenues inutiles à notre bonheur. Le merle était le héros ce matin. Il combattait avec son chant persistant, aigu, effilé, sans véritable joie. Il se tut.
Les panzers ne cessaient pas. Tous les gens partaient au travail. Une ville entière se vidait pour aller remplir je ne sais quelles tâches imméritées, héritées du passé, aveugles au dégâts sous leurs pieds dans la chair, dans l'espoir du futur d'aujourd'hui. Le merle reprit — une petite coda.
Que faisait-il l'écrivain, lui ? — qui n'osait même plus porter son nom maudit. Il allait jardiner son cochon-dinde ?
Sans bonheur il n'aurait pu écrire — comme le merle chanter. Sans bonheur il n'aurait pu habiter ce corps qu'il était devenu, qu'il restait encore, soixante-douze ans après.
Il avait mis de côté une petite laitue du jardin : Un régal de feuilles fraîches, pensa-t-il.
Billet de blog 20 février 2020
Un régal de feuilles fraîches
Je ne suis pas un auteur de nouvelles, dit-il à son éditeur. Mais je voudrais m'y essayer.
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