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La nuit dans son seau
Du fond du seau de monsieur Nuit elle remontait doucement, mais il l’a retenue, le jour était largement levé. Il l’a fait taire mais je l’avais entendue très clairement quand elle s’était dressée, les bras levés, non pas vociférant mais impérieuse, son corps souple surgissant de chaque côté d’un tronc, d’un axe charpenté, solide, humain.
Impérieuse et très claire. J’ai parfaitement entendu et compris ses imprécations, sa colère, son exigence. J’entends comme je vois dans l’obscurité et je me dresserai si je pouvais, avec elle, mais le jour est à l’œuvre et me raplatit moi aussi. La métamorphose reprend à rebours ou l’enchantement se résorbe, je ne sais comment dire, monsieur Nuit me refait en un tournemain ce que je suis.
Mais je n’oublierai pas mon amie, ma sœur, ou peut-être ma mère, celle dont j’ai éprouvé de nombreuses fois déjà la tendresse, la force et la chaleur et qui me reste proche. Et qui demeure lointaine.
Prisonnière de monsieur Nuit ? Je ne sais pas, car il n’est pas Barbe Bleue et je ne suis plus un enfant, je découvre chaque jour davantage de l’étendue de l’ignorance où je suis, ce pays de monsieur Nuit, ce territoire sans fond et sans repos, où il fait chaud, froid, où tout est si palpable, mouvant, malléable et volubile… Quelle chance d’avoir pu approcher le vieux vagabond, d’en être devenu presque un ami. Parfois je crois voir par ses yeux.
Milton Avery, the Late paintings, 3