Depuis le temps que je fuis

Pourvu qu'ils me laissent le temps... implore-t-il, haletant. Lui, n'est pas un déserteur. Tout au contraire, s'il court, s'est pour rejoindre. Rejoindre l'endroit, l'espace, la possibilité, le temps de vivre. Pourvu qu'ils me laissent le temps... car il y a la guerre du temps comme du territoire, c'est son temps ou le leur, son espace ou le leur. Qu'est-ce que la guerre ? La guerre c'est l'impossibilité du partage, l'impossible coexistence, l'impossible altérité.
Mais pour qui est-ce impossible ? Pour nous, les hommes, qui nous séparons en deux camps, par exemple : Macron, le préfet Lallement, Castaner etc. d'un côté, et de l'autre, l'autre côté de la rue, les troupes, les petits, les exécutants ou les exécutés : les véritables ennemis. Les ennemis indispensables pour qu'il y ait deux côtés — ils ne peuvent être grands que s'il y a des petits, dominants que s'il y a des dominés, vainqueurs que s'il y a des vaincus.
Les personnages de Boris Vian vont jusqu'au bout de leur course d'homme, d'homme qui refuse de prendre les armes contre l'autre homme. Bien au contraire, l'un va prévenir les autres : refusez de partir, refusez de la faire... gens de tous les pays. L'autre veut prendre de vitesse ses poursuivants, atteindre l'autre rive, pour prendre sa part de vie, d'odeur des arbres, d'eau du ruisseau, d'amour d'une femme.
Tous deux vont jusqu'au bout de leur vie d'homme séparé, jusqu'au bord du gouffre du sacrifice : Prévenez vos gendarmes que je serai sans arme et qu'ils pourront tirer / Une abeille de cuivre chaud l'a foudroyé sur l'autre rive.