René Thibaud (avatar)

René Thibaud

Abonné·e de Mediapart

248 Billets

0 Édition

Billet de blog 27 avril 2020

René Thibaud (avatar)

René Thibaud

Abonné·e de Mediapart

Intimement

La lutte des contraires est le grand phénomène naturel, dit Marcel Conche commentant Héraclite, cette lutte est sans violence comme est la joute des athlètes. Le "polemos" naturel implique la mesure ; il recèle intimement la justice, c'est à dire la paix.

René Thibaud (avatar)

René Thibaud

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Le subtil Marcel Conche regarde donc intimement dans la guerre et peut y déceler la justice et la paix. Mais ce n'est pas sur n'importe quelle horreur de guerre qu'il tourne le microscope. C'est une guerre au nom si doux dont il parle, on croirait un nom de faune, le polemos naturel. Moins grandiloquent qu'Héraclite, qui le nommait père et roi — mais c'est bien de celui-là qu'il parle, néanmoins. On sait le désaveu qu'Héraclite inflige à Homère lui-même, qui blâme la discorde parmi les dieux comme parmi les hommes. Pour Marcel Conche « ce qui distingue Héraclite d'Homère est que celui-ci ne songe qu'au monde des hommes et des dieux alors qu'Héraclite étend la guerre à toute la nature. » Tout et la nature sont synonymes chez Héraclite, comme ce le sera pour Spinoza. Voilà donc le polemos naturel, au-dessus des dieux, père et souverain de tous les contraires. Le roi des discordes et des conflits.
Ce gentil faune porte dans son cœur l'ensemble des antagonismes, et donc la démocratie où coexistent toutes les libertés, sachant s'accorder, se faire place l'une l'autre en se limitant, d'où est bannie la démesure — c'est donc la justice et c'est la paix, au cœur de la grande discorde.
Intimement, nous connaissons tous ce lieu de paix tendrement violemment uni à la guerre, c'est-à-dire au scandale de la mort. Nous l'habitons auprès des morts dans le rituel funéraire.
A l'opposé de l'intime, nous mettons en scène des rituels langagiers, qu'ils soient religieux ou non, comme ces oxymorons indécrottables du latin "si vis pacem para bellum" ou "si vis vitam para mortem". A cette sagesse, à ces conseils, toujours prompts à devenir des directives, je nous préfère dans la poésie immédiate d'Héraclite, sous le soleil exactement, sur logos dérivant, ancrés et libres, dans le mouvement que tout ensemble nous sommes — mourant naissant — créant détruisant — libérant soumettant — choisissant ne choisissant pas notre camp.
J'aimerais réconcilier Héraclite et Homère, en déplorant la funeste colère d'Achille, la fureur des dieux, la cruauté des hommes tout en admirant la souveraine mansuétude des écosystèmes, qui savent bricoler de tout, ne rien jeter, ne rien laisser sur le bord du chemin.
A Sainte-Eulalie le tapis jaune éclatant des ficaires a peut-être disparu, faisant place à un assaut d'orties, ou d'armoises.
Les guerres humaines réclament la haine. Tension maximale. Position extrême du curseur. Pas de distanciation sociale. Choc frontal comme virus et anticorps. Quand à l'autre bout le curseur se positionne sur amour — brusquement — deux soldats se tombent dans les bras ; s'il part dans l'autre sens, un gentil garçon soudain est un assassin. Plus progressivement, en oscillant, tergiversant, en composant, les micro-mouvements à l'intérieur d'une société ou d'une conscience, d'un inconscient, dessinent des configurations comme la limaille s'oriente à l'approche du champ magnétique, comme le grain se forme sur l'océan quand l'aiguille du baromètre est sur Tempête. Ou c'est Beau fixe qui revient.

Des oiseaux ce matin, mais trafic assourdissant sur le boulevard. Un hélicoptère traverse le ciel comme un gros bourdon de fer. Dans tout ce vacarme j'entends comme une chorale de voix d'enfants, qui revient en interstice. Une trottinette électrique. Le ciel se couvre. Sirène de police.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.